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MAI 2016 : Récusations et médiatisations, des armes de déstabilisation massive ?

Droit syndical 01/05/2016

MAI 2016 : Récusations et médiatisations, des armes de déstabilisation massive ? - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

Le colloque organisé en novembre 2015 par notre syndicat au Conseil économique social et environnemental (CESE), a mis en lumière l’importance de la perception médiatique de l’action de la justice comme fondement son efficacité et de sa légitimité . Les actes seront prochainement publiés sur notre site. En choisissant avant toutes les autres organisations professionnelles, un tel axe de recherche notre organisation s’est une fois de plus montrée visionnaire. Plus que jamais, la légitimité de l’autorité judiciaire s’articule sur la perception de son action.

Petits articles et gros soucis : l’émergence de la déstabilisation de proximité

Alors que l’on croyait la tendance à l’attaque médiatique contre les magistrats de l’ordre judiciaire limitée à des affaires d’importance nationale impliquant des personnalités de premier plan, ou connaissant un fort retentissement médiatique, on constate aujourd’hui une tendance marquée à voir se développer, par le recours à des relais dans la presse quotidienne régionale (la « PQR »), de véritables campagnes de dénigrement de proximité. La presse a, bien entendu, toute latitude pour rendre compte de ce qui se passe dans les juridictions. Cependant, il ne faut pas confondre, même pour les magistrats de l’ordre judiciaire, mise en cause et condamnation, dénonciation et démonstration, allégation et preuve. Car le mal est vite fait, et en réalité, difficilement réparable. L’opprobre ne s’attache pas qu’au magistrat visé, mais aussi à l’image de la justice en général.

Campagnes médiatiques locales : la « CAR », en ligne de mire

Depuis la réforme de la loi organique portant statut de la magistrature votée en 2010, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), peut être saisi par un justiciable insatisfait du comportement du magistrat en charge du déroulement de la procédure le concernant. Le traitement des plaintes est assuré par une commission spéciale du Conseil, la « Commission d’admission des requêtes » (la CAR). A plusieurs reprises depuis 2013 des articles sont parus dans des organes de presse locaux, en particulier dans des ressorts situés dans le sud de la France métropolitaine, lorsqu’un magistrat était appelé à comparaître devant cette commission. Sur le plan local, un article paraissant dans un journal quotidien , lu par un lectorat important, et qui donne largement la parole à un plaignant épinglant un magistrat affecté dans une juridiction petite ou moyenne peut produire des effets dévastateurs. Que la presse rende compte de l’existence et du contenu d’une plainte, c’est bien normal. Qu’elle le fasse dans les jours précédant la réunion de la formation spéciale de l’organe disciplinaire peut s’analyser comme une tentative de déstabilisation. En effet, à la différence des débats qui se tiennent devant le CSM au fond, les délibérations de la CAR ne sont pas publiques et le législateur a clairement écarté le principe de la présence systématique des plaignants qui la saisissent. Lorsque de tels articles ont été publiés et dans l’intention évidente de faire pression nous avons soutenu la nécessité d’ordonner un renvoi ne serait-ce que pour permettre au magistrat de demander un droit de réponse, ou le bénéfice de la protection fonctionnelle. Cette demande a été acceptée, afin de garantir la sérénité des débats et nous ne pouvons qu’apprécier qu’un tel principe soit respecté .

L’effet « Barbra Streisand »

Pour un magistrat, se défendre sur le terrain disciplinaire ou pré-disciplinaire n’est déjà pas aisé. S’il doit en plus envisager de mettre en place une stratégie médiatique de défense, il doit alors se battre sur deux fronts, avec des moyens limités. Le magistrat peut en effet difficilement prendre position dans la presse (à supposer que son point de vue soit requis par le journaliste, ce qui est au demeurant rarement le cas ). Tout d’abord, cela n’est pas, d’une manière générale, dans les habitudes du corps judiciaire. Ensuite, on voit mal le magistrat prendre position dans un organe de presse avant sa comparution devant ses juges disciplinaires, surtout s’il se présente devant eux sans avocat. Enfin l’intervention d’une organisation syndicale peut être peu pertinente, voire contre-productive, compte tenu de la méfiance générale qui pèse, pour des raisons diverses, sur les organisations syndicales de magistrats . Ce phénomène est au demeurant connu sous le nom « d’effet Streisand » et consiste à renforcer la visibilité de la nouvelle que l’on entend dénoncer par la publication d’un démenti. Notons enfin jusqu’à présent le silence souvent des plus prudents de la hiérarchie dans les juridictions de première instance, et celui régulièrement assourdissant des chefs de cours d’appels et de l’administration centrale dans ce domaine.

Ultramoderne solitude

Si l’on peut parfaitement accepter au niveau local une absence de prise de position sur le fond de la procédure disciplinaire ne serait-ce que par respect pour l’opinion soutenue par le plaignant, la profession qui n’a pas que des laudateurs dans l’opinion publique, n’est-elle pas en droit d’espérer à minima qu’une voix fasse officiellement entendre un rappel des règles procédurales applicables et le nécessaire respect de la présomption d’innocence en matière disciplinaire ? Pourquoi les services de communication ministériels, ou les chargés de communication locaux ne procèdent-ils pas à ce rappel ? L’autorité judiciaire en agissant ainsi laisse le magistrat, seule partie à ne pouvoir se défendre sans s’exposer, totalement isolé face à ces attaques . Pourquoi alors que les « plans de communication » constituent une thématique essentielle de toute action engagée par l’administration, n’existe-t-il pas un « soutien médiatique », à même de permettre au magistrat de se présenter sereinement devant la CAR, et de limiter « l’effet Streisand », en ramenant l’examen de la plainte à ce qu’il devrait être : une décision qui n’engage en rien le fond de la procédure ?

Notre organisation revendique la mise en place d’un communiqué-type rappelant les principes généraux du droit, et diffusé par le ministère de la Justice, dans ce genre de circonstances.

JLD mis en cause : Récusés levez-vous !

En marge de cette préoccupante évolution, une autre stratégie tout à fait détestable se fait jour dans certains ressorts : la récusation systématique et infondée de magistrats, en particulier les juges de la détention (JLD) :
- systématique, parce qu’elle peut être présentée plusieurs dizaine de fois contre un même magistrat.
- infondée, parce qu’elle ne repose sur aucun propos ou comportement précis, et elle n’est, ensuite, jamais couronnée de succès devant les instances chargées d’évaluer les allégations ainsi présentées. La fonction de JLD dans l’esprit d’un certain nombre de projets de lois en préparation, pourrait se voir confier de nouvelles compétences en matière de conduite des investigations pénales, par exemple en matière de terrorisme ou de criminalité organisée. Dès lors, on mesure l’importance d’un tel enjeu. Or, face à ces deux tendances nouvelles, le statut de la magistrature constitue une protection d’une efficacité très limitée.

Le JLD, suspect, forcément suspect.

A l’instar de la liberté d’informer, le mandat de défense confié à un avocat ne saurait souffrir de limitation au principe de son exercice. Mais ce principe ne saurait être absolu et implique de nécessaires restrictions, sous peine de dépasser son objet premier et de faire des défenseurs des sujets de droit au-dessus des lois qu’ils doivent eux aussi respecter. Qu’ un auxiliaire de justice informe un juge de l’intérêt qu’il y aurait à ne pas voir évoquer une affaire devant lui, pour des raisons diverses, c’est normal. Qu’il saisisse la juridiction d’une demande de récusation si le magistrat ne se range pas à la demande ainsi présentée, c’est conforme à la loi. Mais que penser d’une demande de récusation systématique d’un magistrat, dont les décisions sont systématiquement confirmées au fond, et dont les demandes de récusation sont systématiquement écartées comme étant dépourvues de tout fondement pertinent ? La réponse ne peut être que soit, le défenseur cherche, soit à porter atteinte à la crédibilité du juge, soit poursuit à travers la procédure un but qui ne se rattache pas à l’examen de la cause au fond. Dans les deux cas, une question se pose : l’organisation d’un procès, en particulier un procès appelé à statuer sur une mesure de rétention, ou sur une mesure entravant la liberté individuelle, constitue une allocation de moyens publics . A l’instar de ce qui est prévu pour le fonctionnement des hôpitaux, ces moyens sont dévolus à la sauvegarde de l’intérêt général. Ceux qui abusent des possibilités que leur offre l’organisation de l’hôpital, ou du tribunal ne devraient-ils pas être amenés à répondre de la mobilisation de moyens qu’ils entendent ainsi capter dans le cadre des procédures où ils interviennent ? Pour le dire autrement, n’y a-t-il pas matière, pour les magistrats ainsi mis en cause à solliciter le soutien de l’administration afin de voir rétablir leur honneur professionnel ?

Et n’y a-t-il pas non plus matière à voir demander officiellement des explications aux représentants des Barreaux où advienne de tels comportements ?Exercer un droit est une chose, en abuser en est une autre.

Fo-Magistrats va saisir les chefs des cours ou le recours à cette pratique est la plus systématique.

Mesures d’administration judiciaire, la flexibilité sans la sécurité

La récusation et la médiatisation ciblée montrent que les comportements sociaux adoptés vis à vis de l’autorité judiciaire ont profondément changé en quelques années, et que le phénomène s’aggrave. Or le cadre juridique protecteur qui devrait, non moins logiquement accompagner cette évolution, est bien loin d’offrir des garanties nouvelles. L’obligation d’assurer la continuité des services se retourne dans l’état actuel du droit contre les principes protecteurs des magistrats de l’ordre judiciaire, et contribue à donner des moyens de porter atteinte au principe de l’inamovibilité des magistrats du siège. Même si l’on ne se penche pas sur les nouvelles obligations qui pèsent sur les magistrats dans le cadre du projet de réforme de la loi organique, il suffit d’ouvrir un code de l’organisation judiciaire (COJ), pour constater que la seule orientation donnée à l’organisation du travail des juridictions est celle qui vise à assurer la continuité des services et non la stabilité du magistrat dans ses fonctions. Cette conception résulte en un sens de la fusion de deux principes contradictoires.

Les mesures d’administration judiciaires, entre continuité de l’Etat et justice managériale

A travers la possibilité d’assurer la continuité de la fonction de juger quelle que soit les circonstances, on retrouve le fondement de la continuité même de l’Etat, autrement dit un aspect marqué par le droit public dans ce qu’il a de plus exigeant. Mais cette tradition trouve aussi paradoxalement un soutien au sein des dispositifs qui visent à permettre une plus grande « mutualisation des moyens », autrement dit d’assurer une flexibilité à même de pallier les vacances ordinaires d’effectifs au sein des services. C’est à dire en réalité des mécanismes inspirés du secteur privé. Ainsi un président de juridiction peut en application du COJ, choisir un Juge des libertés et de la détention, un juge d’instruction, par application de l’article 84 du Code de procédure pénale, et bien entendu un juge non spécialisé avec une grande liberté dès lorsqu’il est nécessaire de se pencher sur le fonctionnement du service , ou s’il existe des vacances de postes au sein de son effectif.

Qui souffre de vacances, perd sa place

Or, selon les chiffres de l’administration il existe au niveau national un taux de postes non pourvus d’au moins 5% (soit un magistrat sur 20) . Ce taux peut facilement dépasser les 20% dans les juridictions importantes comme à Bobigny et les petites juridictions, comme à Nevers et 10 % dans les juridictions moyennes comme Avignon. Quant à la nécessité d’améliorer le fonctionnement du service, la fragmentation des activités des magistrats est telle aujourd’hui, que même les magistrats les plus productifs peuvent être pris en défaut sur ce terrain. Par ailleurs, le cadre juridique fait des mesures d’administration judiciaire un type de décision qui échappe au contrôle du juge administratif, et qui ne relève pas davantage du contrôle sur le contentieux exercé par les juridictions d’appel (cf par exemple, CE 23 juillet 2010).

La question ne sera pas posée...

Il n’est bien entendu pas question d’opposer les responsables hiérarchiques et les magistrats placés sous leur autorité. Mais il convient de poser une nouvelle fois, la question suivante, qui devrait servir de boussole pour apprécier l’état réel du droit applicable à la magistrature judiciaire :

  • en cas de contestation, quelle est la procédure applicable ?
  • est-elle conforme aux principes garantissant un minimum de respect d’expression des points de vue ?

Ici la réponse est claire : il n’y a pas, ni en fait, ni en droit, de contestation possible relative à une décision d’affectation dans un service. Le simple fait que cet aspect du droit n’existe pas démontre que le cadre juridique actuel a pour objet de « faire tourner la boutique », et non d’éviter qu’il soit possible de dessaisir le magistrat des procédures qu’il doit naturellement traiter.

Cela ne serait pas grave si la magistrature était un corps soudé et si l’administration soutenait ses personnels face aux difficultés.

Quelles garanties nouvelles revendiquer ?

Selon nous la principale faiblesse du système ne réside pas dans l’absence de contrôle collégial des attributions dans les services. Même si les assemblées générales sont dotées de pouvoirs nouveaux, elles se trouveront de fait, dans la situation du pouvoir législatif vis à vis du pouvoir exécutif : face à l’imprévu résultant d’une maladie ou d’une vacance de poste, elles ne pourront exercer qu’un contrôle a posteriori sur des décisions de gestion que le chef de juridiction ne saurait différer. Par ailleurs se poseraient de redoutables questions de responsabilité dans un tel contexte : si la durée de traitement d’un contentieux s’accroît parce qu’une assemblée ou une commission n’approuve pas les décisions du chef de juridiction, qui pourrait être tenu pour responsable des éventuels dysfonctionnements ? Aussi, même si les choses sont appelées à progresser sur ce terrain, la problématique centrale risque fort de n’être pas réellement modifiée, car il faudra bien malgré tout une autorité pour procéder à ces arbitrages.

- Pour notre organisation, la véritable réponse consiste à repenser l’ensemble des dispositifs en la matière en partant du principe que le magistrat doit pouvoir à titre individuel, réclamer le bénéfice d’une procédure à même de voir son affectation au sein du service examinée s’il estime son éviction illégitime. Autrement dit, même s’il existe un contrôle a priori, la véritable garantie consistera ici, comme dans bon nombre d’autres dispositions statutaires à mettre en place une possibilité de contrôle sur les propositions de mutation interne au sein des services fondées sur un possible risque de détournement de pouvoir.

- Ce qui manque en réalité ce n’est pas un regard « parlementaire », de contrôle de gestion, mais bien un regard « juridictionnel » visant à sanctionner non pas le défaut d’opportunité, mais bien un éventuel abus.

Car la grande faiblesse du statut de la magistrature réside, comme nous l’avons démontré à de multiples reprises, dans la faiblesse des mécanismes de défense et pas dans l’absence de mécanismes de contrôle.

Pour FO-Magistrats le statut de la magistrature est à réformer en partant de l’efficacité réelle des garanties qu’il doit assurer aux magistrats. Car il n’y a pas d’indépendance sans d’efficaces possibilités de défense.

Renouvellement de la commission d’avancement, appel à candidatures

Pour permettre aux magistrats discriminés de continuer à être défendus, pour continuer à défendre les rémunérations et les conditions de travail des magistrats FO-Magistrats présentera des listes lors du scrutin de renouvellement de la commission d’avancement qui aura lieu en juin prochain. Dès à présent, FO-Magistrats lance un appel à candidature aux magistrats syndiqués ou non, afin de lui permettre de poursuivre son combat. Le mode de scrutin exige la présente d’au moins 78 listes syndicales : elles ne pourront être déposées dans l’ensemble des ressorts sans le soutien des magistrats.


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Pour tout contact : Michel Dutrus, conseiller à la Cour d’appel de Bordeaux michel.dutrus@justice.fr

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