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Unité Magistrats FO

Les attaques contre les Magistrats : audition du Syndicat National des Magistrats FO

Flash info 24/03/2015

Les attaques contre les Magistrats : audition du Syndicat National des Magistrats FO - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

Le Syndicat national des magistrats-FO a été reçu le 11 mars 2015 par le groupe de travail constitué à la demande du garde des sceaux en décembre 2014 sur les atteintes aux magistrats.

Au cours de cette audition, le SNM-FO a tenu à situer le problème dans le cadre plus général de la dégradation du système judiciaire. La crise que traverse celui-ci depuis plusieurs décennies est d’abord une crise d’identité qui explique en grande partie les attaques dont sont l’objet les magistrats.

Une approche cohérente et rationnelle conduit à distinguer d’abord deux aspectes distincts : la protection des agents qui concourent à son fonctionnement (et celle de leur entourage) la protection de l’institution judiciaire en tant que telle contre les atteintes à sa propre intégrité et à l’exercice de ses missions

1 La protection physique et matérielle des magistrats : élaborer une doctrine globale et cohérente

Il n’existe à l’heure actuelle aucune doctrine (en tout cas connue) de mise en œuvre de la protection des personnels exposés. Une telle doctrine globale apparaît pourtant indispensable afin d’élaborer les dispositifs de sécurité dans un ensemble cohérent et non au coup par coup comme cela semble être actuellement le cas.

Il est significatif à cet égard que la chancellerie n’ait, jusqu’aux attentats des 7 et 8 janvier 2015, jamais élaboré les dispositifs du plan Vigipirate dans les juridictions et les locaux du ministère, laissant les responsables de sites et les personnels dans une totale ignorance des mesures à prendre en cas d’alerte grave.

Cette doctrine, définie au niveau national, devrait notamment retenir les points suivants :

Une évaluation des potentiels de risques pour les personnels

Il conviendrait d’établir une typologie regroupant les personnels selon le type de risques auxquels ils sont exposés. On peut suggérer la classification suivante :

  • Les personnels particulièrement exposés, pour lesquels une protection durable et renforcée s’impose,
  • Les personnels temporairement ou ponctuellement exposés, pour lesquels une protection limitée dans le temps et/ou l’espace est suffisante,
  • Les personnels incidemment exposés, qui encourent un risque du fait d’une situation particulière, tenant à leur fonction, à leur situation géographique ou à toute autre considération extérieure à leur personne.

Bien entendu, les protections appropriées doivent être mises en place non seulement pour les magistrats eux-mêmes mais également, en fonction de la nature des risques, pour leur entourage professionnel (greffiers…) ou personnel (famille et autres proches). Elles doivent également s’étendre aux biens des intéressés, même éloignés si besoin de leur lieu de travail.

Une sécurisation des locaux judiciaires

Le ministère de la justice doit prendre sans délai les mesures appropriées pour traduire en consignes et dispositifs effectifs l’ensemble des mesures du plan Vigipirate afin d’être en capacité de les actionner immédiatement en cas de besoin.

Pour ce faire, il convient d’associer les instances paritaires (CHSCT) et de former les personnels aux consignes.

En dehors des périodes d’activation du plan Vigipirate renforcé, il convient d’auditer les dispositifs retenus dans les juridictions, qui contiennent actuellement de nombreuses failles. C’est ainsi en particulier que, dans de nombreuses juridictions, les missions de gardiennage et de sécurité sont confiées à des entreprises privées et non à des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie.

Ce recours au privé pose de multiples problèmes : fiabilité et formation des personnels extérieurs, utilité de recourir à des agents non équipés qui ne pourraient faire face à des attaques violentes contre les biens ou les personnes, détermination des moyens affectés à la protection, etc.

Il convient également de définir les modalités d’accès aux locaux judiciaires. Ceux-ci sont par nature vulnérables dans la mesure où leur accès doit pouvoir être garanti aux justiciables. Toutefois, tous les locaux ne doivent pas pouvoir être accessibles à toute personne. Par exemple, l’accès aux salles d’audience doit, en règle générale, être garanti librement, sous réserve de contrôles ou de limitations ponctuelles justifiés. En revanche, il n’est pas normal que les locaux de travail puissent, comme c’est le cas dans de nombreuses juridictions, être d’accès non contrôlés.

De façon générale, il convient d’assurer une sensibilisation permanente des personnels aux questions de sécurité. Les CHSCT apparaissent comme les organes naturels de discussion et d’élaboration des dispositifs locaux d’adaptation des plans généraux de sécurité.

2. La protection symbolique de l’institution judiciaire à travers les magistrats : mettre fin à des dérives

Les problèmes

Il faut tout d’abord observer que les attaques contre l’institution judiciaire ciblent le plus souvent les magistrats eux-mêmes, auxquels sont imputés les mauvais fonctionnements de l’institution. De prime abord, on imagine donc – souvent à juste titre – que ces attaques viennent de l’extérieur de l’institution judiciaire.

Les atteintes « externes » peuvent toutefois emprunter de multiples canaux qui exploitent les failles et les vulnérabilités de la justice. L’appareil judiciaire n’a en effet ni savoir-faire ni expérience en matière de communication de crise et n’a pas non plus conscience, de façon générale, des enjeux stratégiques de la communication dans le monde contemporain.

On pourra citer, dans le désordre :

  • les manipulations de l’opinion publique par la diffusion d’informations tronquées, fallacieuses ou tendancieuses sur des affaires ou les magistrats qui les ont en charge,
  • le discrédit jeté directement par des assertions calomnieuses, diffamatoires, voire injurieuses,
  • l’instrumentalisation des circuits politiques et administratifs consistant à utiliser l’autorité conférée par des mandats ou des positions institutionnelles pour exercer des pressions de toute nature sur le fonctionnement judiciaire,
  • l’exacerbation des tensions internes à la magistrature qui fragilisent et déstabilisent les magistrats.

Mais les attaques externes ne sont pas les seules qui, visant les magistrats, portent atteinte à travers eux au fonctionnement de la justice.

Les attaques « internes » sont autrement plus pernicieuses car elles sont le plus souvent invisibles et indétectables de l’extérieur de l’institution judiciaire et, parfois même, du cercle étroit qui entoure le magistrat visé. La méconnaissance des véritables mécanismes du système judiciaire, y compris de la plupart des commentateurs spécialisés, permet de les dissimuler aisément sous l’affirmation continûment répétée de l’indépendance des magistrats du siège et, dans une moindre mesure, du parquet, qui occulte les procédés employés. Il ne suffit pas en effet d’affirmer que la justice est indépendante – comme c’est trop souvent le cas quand justement elle ne l’est pas –, pour qu’elle le soit réellement ou qu’elle le devienne.

Or, on constate la multiplication de situations qui mettent en difficulté les magistrats. Elles sont causées ou amplifiées par différentes attitudes de la hiérarchie judiciaire et de la chancellerie. On peut citer ainsi :

  • la pusillanimité de la chancellerie (parfois influencée par des considérations politiques) et de la hiérarchie judiciaire face aux attaques dont sont l’objet les magistrats, qui est judicieusement exploitée par les auteurs de ces attaques, assurés de leur impunité,
  • l’existence de relais internes dans la hiérarchie, et parfois même au sein des juridictions elles-mêmes, qui font délibérément écho aux attaques externes et utilisent des moyens de déstabilisation, institutionnels ou non, contre les magistrats mis en cause,
  • des initiatives purement internes de déstabilisation s’apparentant à du harcèlement moral à l’encontre de magistrats.

S’il existe en effet des garanties formelles d’indépendance des magistrats, celles-ci se limitent à leur seule activité juridictionnelle, strictement entendue. Au siège aussi bien qu’au parquet, les magistrats sont en réalité enserrés dans un cadre hiérarchique de plus en plus pesant et envahissant, qui détermine aussi bien l’organisation des services au quotidien que le déroulement de leur carrière. L’importance des pouvoirs de la hiérarchie en ces domaines et la quasi-inexistence, dans le droit disciplinaire, de dispositifs protégeant les magistrats des abus d’autorité – jointes à un renforcement des contrôles sur l’activité des magistrats sous couvert d’une rationalisation des méthodes de travail –, donnent aux autorités hiérarchiques et à la chancellerie des moyens à peu près sans limite pour instrumentaliser le pouvoir hiérarchique et disciplinaire en les détournant de sa stricte fonction.

La dépendance hiérarchique des parquetiers est connue et elle est considérée comme normale pour assurer la cohérence de l’action publique. Elle n’est tempérée en ce qui les concerne que par l’interdiction théorique de donner des instructions individuelles de poursuites émanant du garde des sceaux, mais nul n’ignore en juridiction que la réalité des problèmes n’est pas là et qu’un magistrat du parquet ne pourrait, sans s’exposer dangereusement, faire valoir les garanties théoriques qu’il tire de son statut, aussi limitées soient-elles, en face d’une hiérarchie qui anticipe les suggestions ou les incitations politiques (ou autres) et n’a donc pas besoin de les solliciter.

Mais le problème est, bien entendu, plus grave encore s’agissant des magistrats du siège. Ils peuvent être exposés, pour de multiples raisons, à une volonté de déstabilisation venue de l’extérieur, de l’intérieur ou de la conjonction des deux. Il ne s’agit pas seulement de cas d’école : le Syndicat national des magistrats-FO, à l’écoute quotidienne des juridictions, reçoit les doléances des magistrats et observe partout la montée de leur mal-être au travail. Celui-ci tient pour une grande part à une volonté de reprise en main hiérarchique du fonctionnement de l’institution judiciaire dont tout le monde s’accorde – en privé – à reconnaître les dérives. Les chefs de juridiction sont jugés sur leurs résultats c’est-à-dire sur des critères exclusivement quantitatifs de productivité juridictionnelle et de soumission hiérarchique. Ils ont pour souci croissant d’imposer une ferme discipline aux magistrats placés sous leur autorité et de bannir tous les incidents qui viendraient révéler des problèmes qu’il convient de dissimuler pour ne pas entraver leur propre carrière, ou pour ne pas révéler tout simplement l’incapacité grandissante de l’institution judiciaire à assurer normalement ses missions.

Ainsi, que ce soit dans l’exercice de leurs tâches quotidiennes ou lorsqu’ils sont confrontés à des situations sortant de l’ordinaire et mettant en cause des intérêts puissants, les magistrats se retrouvent le plus souvent seuls pour aborder les épreuves et surmonter les obstacles. Mais ils risquent aussi d’être tenus pour responsables des dysfonctionnements qu’ils n’auront pu empêcher ou des incidents qu’ils auront dû gérer sans aucun soutien, la hiérarchie et la chancellerie étant alors, en règle générale, totalement défaillants comme évoqué plus haut, quan d elles ne sont pas les premières à vouloir faire reporter la responsabilité du mauvais fonctionnement judiciaire sur le dernier maillon de la chaîne. Ainsi, l’indépendance, thème ressassé en chaque circonstance pour dégager la responsabilité de l’institution judiciaire beaucoup plus que pour donner aux juges les moyens d’exercer leurs fonctions, se retourne contre le juge et traduit avant tout son extrême solitude pour faire face aux multiples aléas de son métier, à la sclérose de l’appareil judiciaire et aux renoncements de nombreux membres de la hiérarchie face à leurs propres responsabilités. Elle peut même se retourner contre lui, au nom de la responsabilité qu’elle est censée lui conférer, l’institution judiciaire en tant que telle se dégageant en cas de problème de toute implication.

LES PRECONISATIONS DE FO-MAGISTRATS

Ce constat – aussi sévère soit-il – est le préalable indispensable à toute préconisation. Il ne suffit pas en effet de solliciter une meilleure prise en compte par la hiérarchie et la chancellerie de leurs responsabilités dans la défense de l’institution judiciaire et des magistrats, si l’on n’a pas perçu les raisons pour lesquelles, précisément, elles s’en abstiennent régulièrement voire, plus gravement encore, elles s’associent – tacitement ou activement – aux manœuvres de déstabilisation que subissent les magistrats.

Bien au contraire, le bilan tiré de l’expérience conduit tout d’abord à considérer que les attaques contre les magistrats révèlent d’abord et avant tout les carences de l’institution judiciaire.

Il serait donc illusoire de recommander, sans la moindre garantie d’être entendu, une implication plus grande de la hiérarchie et de la chancellerie dans la mise en œuvre des dispositions du code pénal contre les attaques extérieures illégitimes dont sont la cible les magistrats. Il ne serait pas plus raisonnable de penser que les mêmes causes ne reproduisent pas les mêmes effets et donc que l’on pourrait obtenir, simplement en le sollicitant, que cessent les atteintes internes dont la liste – sans doute non exhaustive – a été dressée plus haut.

C’est pourquoi le Syndicat national des magistrats-FO émet les propositions suivantes :

Une protection fonctionnelle (article 11) renforcée

La protection fonctionnelle est un principe général du droit. Elle est due à tout agent public en raison de son exposition à des attaques ou atteintes illégitimes au service de l’État. C’est ce service de l’État qui justifie toutefois, selon la jurisprudence du Conseil d’État, que l’administration dispose d’un certain pouvoir d’appréciation quant aux moyens qu’elle met en œuvre afin d’assurer son obligation de protection, le juge administratif lui laissant une marge d’initiative dès lors qu’elle prend des dispositions adéquates.

Dans le cas des magistrats, cette protection devrait prendre en considération une double exigence supplémentaire : le respect de l’indépendance et le fait que les fonctions judiciaires exposent plus les magistrats à des attaques illégitimes que de nombreux corps de la fonction publique. Il convient en particulier de rappeler que les magistrats ont le privilège de pouvoir être poursuivis directement au disciplinaire devant le CSM par n’importe quel justiciable.

La moindre des choses serait donc que, dans ce dernier cas, la protection fonctionnelle soit systématiquement apportée durant toute la procédure. Or, la chancellerie prépare une réforme de la loi organique qui limiterait expressément celle-ci, en cas de poursuite à l’initiative d’un justiciable, à l’examen de la requête par la commission d’admission des requêtes (CAR). Cette restriction établirait une présomption de culpabilité à l’encontre du magistrat qui fait l’objet de telles poursuites et qui, en cas de renvoi devant le CSM, se trouve de surcroît privé de toute assistance au cours d’une procédure qui n’a pas été initiée par le ministère de la justice.

La protection fonctionnelle doit par conséquent être automatiquement accordée à tout magistrat qui en fait la demande, et comporter toutes les mesures sollicitées par ce dernier (à commencer bien évidemment par l’assistance d’un avocat). En cas de désaccord de l’administration, le différend serait porté devant la commission d’avancement, laquelle aurait le pouvoir de décision.

Une réforme des délits commis à l’audience et une nouvelle sensibilisation à la police des audiences

Les modalités d’application et les conditions de mise en œuvre des articles 676 et suivants du CPP ainsi que le droit et la procédure du « délit d’audience » des articles 404 et 405 du CPP doivent être réformés. A l’heure actuelle, tant l’incrimination que la procédure du délit d’audience sont trop larges et imprécis pour en permettre une utilisation appropriée en cas de troubles lors des audiences.

Il conviendrait par ailleurs que les magistrats du siège et du parquet reçoivent une formation spécifique à l’exercice de leur pouvoir de police de l’audience et à la conduite des incidents à l’audience. Il serait d’ores et déjà utile qu’une circulaire rappelle les dispositions applicables en incitant les parquets à mettre en œuvre, avec les présidents d’audiences, les dispositifs nécessaires à l’application des règles relatives aux délits commis à l’audience et que les parquets reçoivent des instructions fermes en vue de diligenter les poursuites en ce domaine.

Il apparaît aussi nécessaire que soit rappelé et précisé le contenu des pouvoirs de police du président d’audience. L’emprise grandissante des chefs de juridiction a en effet réduit en pratique l’autonomie des présidents d’audience. Ceux-ci doivent être associés aux dispositifs mis en place de façon permanente, mais ils doivent aussi pouvoir utiliser leurs pouvoirs propres quand ils l’estiment nécessaire. Les services de police, qui sont tenus d’assurer la sécurité des salles d’audience, doivent donc se voir rappeler leurs obligations en la matière et l’assistance qu’ils doivent apporter aux présidents d’audience, seuls à même de décider des mesures à prendre (par exemple le contrôle d’identité dans la salle d’audience en cas de menaces de troubles, les mesures particulières de nature à assurer l’ordre public et la sérénité des débats, etc.).

Introduire une procédure de « contempt of court » à la française

De façon plus générale, le Syndicat national des magistrats-FO souhaite qu’une réflexion soit conduite sur l’introduction en droit français d’une procédure de type « contempt of court » issue du droit anglo-saxon. Cette nouvelle qualification devrait intégrer un champ plus large que les incriminations déjà existantes, tout en étant suffisamment claire et précise. Son objectif serait d’assurer le respect non de la personne du magistrat (déjà protégée par les textes existants), mais de la justice en tant qu’institution. Elle pourrait donc porter sur des aspects très différents de l’outrage ou de l’injure (voir à titre d’exemple l’article 28 des Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de la loi sur l’assurance-emploi reproduit à la fin de la présente note)

Dans un premier temps, il conviendrait de donner par circulaire des instructions générales aux parquets afin qu’ils engagent des poursuites dans tous les cas où une infraction portant atteinte à l’honneur ou à l’intégrité morale ou physique d’un magistrat a été commise – ce qui est loin d’être aujourd’hui le cas – et ce, quelle que soit la personne qui en est l’auteur.

Un audit du harcèlement moral dans les juridictions

On ne peut continuer d’ignorer les cas de harcèlement moral qui se multiplient dans la magistrature, à l’initiative de la hiérarchie et dans le silence de la chancellerie qui veut tout en ignorer.

Il est urgent de faire diligenter un audit objectif des situations de harcèlement moral au sein de la magistrature par une commission indépendante et paritaire, que des procédures internes soient adoptées pour détecter les situations, que des modalités de recours soient prévues pour les magistrats qui en sont victimes afin de les faire cesser, et enfin que des dispositions effectives soient prises pour sanctionner les comportements fautifs.

Une véritable réforme du droit disciplinaire qui protège les magistrats de l’abus du pouvoir disciplinaire

Il faut qu’une réforme véritable du droit disciplinaire soit introduite dans le projet de réforme de la loi organique sur le statut de la magistrature, afin de garantir les magistrats contre une utilisation arbitraire du droit disciplinaire en introduisant notamment un droit d’appel des décisions du CSM et un statut du défenseur.

Introduire un droit de représentation en justice du magistrat victime d’une attaque illégitime

De façon plus générale, tout syndicat de magistrats devrait être habilité à représenter devant une juridiction un magistrat victime d’une atteinte illégitime, par une action conduite au nom de ce magistrat. L’introduction de l’action par le syndicat serait uniquement subordonnée à l’absence d’opposition explicite du magistrat concerné. L’introduction d’une telle règle, qui existe en droit du travail pour permettre la représentation en justice d’un salarié afin que celui-ci ne soit pas exposé dans une procédure contre son employeur, éviterait qu’un magistrat ne soit dessaisi d’un dossier en invoquant son manque d’impartialité. Le syndicat devrait alors bénéficier de la protection fonctionnelle (limitée à la prise en charge des frais et des moyens de défense) à laquelle aurait droit le magistrat concerné.

Établir des chartes de bonne conduite avec les barreaux et les médias

Il importe d’établir des chartes de bonne conduite avec les barreaux, le CSA et la profession des journalistes, afin de fixer les modalités et les conditions d’expression publique sur les affaires judiciaires en cours et les magistrats qui les ont en charge. De telles chartes, qui ne feraient que préciser les droits des avocats, des média et des journalistes, ne constitueraient nullement une limitation ou un encadrement de la liberté d’expression, mais contiendraient les principes qui doivent gouverner les rapports de ces professions avec l’institution judiciaire.

Elles devraient être ensuite complétées par un dispositif permettant à toute personne concernée de saisir elle-même, selon une procédure d’urgence, soit l’instance disciplinaire soit la juridiction compétente afin de faire cesser et le cas échéant de faire sanctionner un trouble manifeste causé en infraction aux obligations déontologiques.

Annexe 1 : un exemple de délit d’outrage à la justice en droit anglo-saxon

Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de la loi sur l’assurance-emploi

OUTRAGE AU TRIBUNAL 28. (1) Est coupable d’outrage au tribunal quiconque, selon le cas :

a) étant présent à une audience de la Cour, ne se comporte pas avec respect, ne garde pas le silence ou manifeste son approbation ou sa désapprobation du déroulement de l’instance ;

b) désobéit volontairement à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour ;

c) agit de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour ;

d) étant fonctionnaire de la Cour, n’accomplit pas ses fonctions ;

e) étant shérif ou huissier, n’exécute pas immédiatement un bref ou ne dresse pas le procès-verbal d’exécution ;

f) en contravention des présentes règles et sans excuse légitime, selon le cas : (i) refuse ou omet d’obéir à un subpoena ou de se présenter aux date, heure et lieu de son interrogatoire préalable, (ii) refuse de prêter serment ou de faire une affirmation solennelle ou de répondre à une question, (iii) refuse ou omet de produire un document ou un autre bien ou d’en permettre l’examen, (iv) refuse ou omet de répondre aux interrogatoires ou de donner communication de documents.

(2) Sous réserve du paragraphe (6), avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage au tribunal, une ordonnance, rendue sur requête d’une personne ayant un intérêt dans l’instance ou sur l’initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint :

a) de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés ;

b) d’être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle ;

c) d’être prête à présenter une défense.

(3) Une requête peut être présentée ex parte pour obtenir l’ordonnance visée au paragraphe (2).

(4) La Cour peut rendre l’ordonnance visée au paragraphe (2) si elle est d’avis qu’il existe une preuve prima facie de l’outrage reproché.

(5) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’ordonnance visée au paragraphe (2) et les documents à l’appui sont signifiés à personne.

(6) En cas d’urgence, une personne peut être reconnue coupable d’outrage au tribunal pour un acte commis en présence d’un juge dans l’exercice de ses fonctions et condamnée sur-le-champ, pourvu qu’on lui ait d’abord demandé de justifier son comportement.

(7) La déclaration de culpabilité dans le cas d’outrage au tribunal est fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable.

(8) La personne à qui l’outrage au tribunal est reproché ne peut être contrainte à témoigner.

(9) La Cour peut, si elle l’estime nécessaire, demander l’assistance du procureur général du Canada ou d’une autre personne dans les instances pour outrage au tribunal.

(10) Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut notamment ordonner :

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de deux ans ;

b) qu’elle paie une amende ;

c) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir ;

d) que ses biens soient mis sous séquestre ;

e) qu’elle soit condamnée aux dépens.


Annexe 2 : Rappel historique


Constitutionnellement et structurellement faible, la justice s’est trouvée encore affaiblie par l’effet de deux évolutions, distinctes mais convergentes, à partir de la fin des années 1980 : d’un côté, les affaires liées à la corruption politique, l’émergence des attentats terroristes et la sensibilisation progressive aux phénomènes de criminalité organisée, économique et financière qu’elle n’était pas prête à affronter ; de l’autre, la perte de repères induite par une demande sociale croissante de prise en charge et de management des distorsions sociales, notamment au pénal. La première de ces évolutions a accentué la vulnérabilité de l’institution judiciaire aux pressions des forces politiques, économiques ou criminelles hostiles. La seconde l’a conduite à se transformer progressivement en une instance de régulation sociale « par défaut ». Elle s’est trouvée en effet de plus en plus requise pour remplacer les autres organes de l’État défaillants, mais sans en avoir ni la maîtrise, ni les capacités. D’une obligation traditionnelle de moyens – assurer un jugement équitable des cas individuels –, la demande sociale pesant sur la justice s’est muée en obligation de résultat : résoudre les problèmes sociaux, notamment dans leur forme exacerbée qu’est la lutte contre la délinquance et la demande de sécurité.

Dans le domaine pénal, cela s’est traduit en particulier par l’invasion du TTR comme mode de fonctionnement de la chaîne pénale, au nom d’une « réponse pénale » généralisée à la délinquance. Le TTR a noyé les parquets et les tribunaux correctionnels sous une masse de contentieux qui ont introduit des techniques de management éloignant de plus en plus la justice de son mode de fonctionnement juridictionnel traditionnel, sans gain visible dans sa perception extérieure ni dans ses résultats.

Aujourd’hui, la justice est attaquée et critiquée : à la fois parce qu’elle s’est invitée (en réalité à son corps défendant) dans des contentieux de haut niveau mettant en cause des intérêts importants sans avoir pu imposer une compétence, une légitimité et une autorité reconnues, et parce qu’elle n’est pas parvenue non plus à garantir un fonctionnement lisible et efficace de la gestion des contentieux traditionnels de droit commun. Ne pouvant présenter un bilan crédible, l’institution judiciaire se trouve ainsi sur une défensive continuelle et, comme toute institution en crise qui cherche à se réformer de l’intérieur sans se questionner sur les causes de ses dysfonctionnements, toutes ses tentatives pour y porter remède amplifient ces derniers au lieu de les résoudre.

Les insatisfactions se manifestent de nombreuses manières – les unes légitimes, d’autres inacceptables – mais la justice n’a pas su non plus mettre en place une doctrine pour faire face aux débordements et aux attaques dont elle est devenue fréquemment l’objet. Craignant probablement que la prise en compte des questions de sécurité ne dévoile ses propres faiblesses et son impréparation, tiraillée entre des injonctions contradictoires qu’elle ne dominait pas, elle a été incapable d’adopter une vision globale et stratégique, ne réagissant au mieux qu’avec retard, de façon désordonnée et au coup par coup. Plus encore, les tensions internes qui la traversent se répercutent sur sa gestion des conflits et des mises en cause de son action.

Le nombre et l’importance des problèmes posés commandent par conséquent de commencer par la question suivante : face aux attaques qui menacent la justice en général et les magistrats en particulier, que faut-il protéger ?

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