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La prescription pénale : Audition du Syndicat national des magistrats-FO par la Mission d’information parlementaire

Flash info 01/04/2015

La prescription pénale : Audition du Syndicat national des magistrats-FO par la Mission d’information parlementaire - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

PRECONISATIONS

Le Syndicat national des magistrats-FO préconise l’adoption d’un dispositif reposant sur :

  • le maintien d’une prescription fixe pour tous les délits et les crimes. II n’apparaît pas utile de modifier la durée ni le régime de prescription des contraventions et les durées actuelles de droit commun (3 ans pour les délits, 10 ans pour les crimes) n’auraient pas besoin d’être allongées, en tout cas de manière conséquente ;

  • l’introduction d’une dérogation applicable cependant à toutes les prescriptions, dans des termes qui pourraient reprendre ceux de l’article 8 du CPP :


« Le délai de prescription de l’action publique ne court qu’à compter du jour où :

1°) l’infraction est apparue dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, soit du fait de sa dissimulation, soit en raison d’un obstacle insurmontable à l’engagement de poursuites contre son auteur ;

2°) tous les éléments constitutifs de l’infraction ont cessé » ;

ce second paragraphe, créant une condition cumulative avec la précédente pour recouvrir les infractions continues et complexes, ainsi que actes collectifs, notamment dans le cadre de la criminalité organisée, économique et financière ;

  • pour tenir compte des situations dans lesquelles la réalisation du dommage ou de l’action prohibée susceptibles de constituer l’infraction interviennent à retardement, les dispositions précédentes devraient être complétées par l’alinéa suivant :


« Outre les dispositions de l’alinéa précédent, le délai de prescription ne peut commencer à courir que lorsque les effets dommageables ou prohibés sont apparus dans des conditions permettant de caractériser l’infraction, quelle que soit la date à laquelle ont été accomplis les actes qui les ont provoqués ».

  • quelques régimes dérogatoires tendant à différer explicitement et automatiquement le point de départ, comme l’âge de la majorité pour les enfants victimes d’abus sexuels, comme c’est actuellement le cas dans l’article 8 du CPP, ou la spécificité du droit de la presse.


ANALYSES

La Commission des lois de l’Assemblée nationale a créé une Mission d’information en vue de préparer une réforme de la prescription pénale, dont le régime est devenu, au fil du temps, fort complexe et, il est vrai, de moins en moins lisible.

Le Syndicat national des magistrats-FO estime qu’une refonte du régime de la prescription, dont les conséquences sur la politique pénale sont déterminantes, requiert une réflexion de fond. Non seulement celle-ci doit prendre en considération les aspects techniques liés à la procédure pénale, mais elle doit aborder avant toute autre chose les fondements mêmes de la prescription pénale. On ne peut en effet légiférer sur une question de cette importance – puisque la prescription éteint l’action publique ou met fin à la possibilité de ramener les peines à exécution – que si l’on a justement mesuré les raisons pour lesquelles on en fait un droit pour les personnes susceptibles d’être poursuivies.

Une refonte rendue nécessaire par les évolutions du monde contemporain

Il serait tout à fait illusoire de croire que la complexité du monde moderne pourrait être réduite artificiellement puisqu’elle consiste en réalité à concilier en permanence les contraires. Si l’on veut, comme le souhaite le Syndicat national des magistrats-FO, parvenir néanmoins à un système simple et gérable en accord avec la finalité de la règle, il faut fixer d’une part des objectifs clairs, mais laisser d’autre part à la pratique judiciaire le soin d’en définir ensuite concrètement les contours et les modalités d’application. C’est d’ailleurs ainsi que les rédacteurs du code civil en avaient eux-mêmes conçu la rédaction, dans un contexte pourtant bien différent du nôtre.

Historiquement la prescription peut s’analyser comme un corollaire du droit de grâce, qui est l’apanage du souverain. Depuis le XIXe siècle, des influences contradictoires se sont manifestées. Assurer la paix sociale d’abord, en organisant une certaine forme d’oubli, mais aussi protéger les intérêts des victimes en limitant les effets d’une prescription-couperet.

Aujourd’hui, dans une large mesure, la personne est créatrice de droits qu’elle ne tient plus de son état de citoyen, mais d’elle-même. Le statut de victime, désormais pleinement reconnu, a eu pour effet de concurrencer et parfois même d’estomper le privilège de la société dans le droit de punir et son corrolaire, le droit d’oubli. Sur le droit de déclencher l’action pénale, traditionnel dans notre système juridique, s’en sont greffés d’autres qui font de la victime une partie qui dispose de (presque) tous les droits des autres parties dans le déroulement du procès pénal, du moins en ce qui concerne sa propre défense. A cela s’ajoute que le législateur comme le juge ont intégré, précisément dans le droit de la prescription, des modalités propres à préserver le sort de la victime afin qu’elle puisse, le plus longtemps possible, avoir un « droit au procès ».

Un droit centré désormais sur la victime

La première évolution de taille a concerné bien évidemment les crimes contre l’humanité, elle a consacré l’idée que certains crimes, parce qu’ils touchaient à la personne humaine dans ce qu’elle a de plus essentiel, ne pouvaient jamais rencontrer l’oubli. A un moindre degré, le législateur lui-même a introduit ensuite des dispositifs différenciés de prescription envers les plus vulnérables – enfants, personnes vulnérables – (article 8 du CPP).

Ces derniers méritent qu’on s’attarde pour en comprendre non pas tant la raison d’être, qui ressort clairement de leur énoncé, que la manière dont la loi les a aménagés car on y trouve mieux encore la signification de l’objectif visé. En retardant en effet le point de départ de la prescription à la date à laquelle la victime peut concrètement agir, soit de façon fixe (date de la majorité pour les mineurs) soit en fonction du recouvrement de ses propres capacités (personnes vulnérables), la loi a mis la victime au cœur du dispositif d’octroi de l’oubli. En d’autres termes, elle a transmis une partie de ce privilège de l’Etat vers la victime.

Elle n’a certes pas accordé à cette dernière le droit de déterminer entièrement le droit à l’oubli, mais elle a retardé le point de départ de celui-ci au moment où la victime cesse, en quelque sorte de l’être, ou du moins à compter duquel elle retrouve toutes ses capacités pour cesser de l’être en saisissant la justice. Ainsi, le temps de la prescription est suspendu tant que la victime individuelle ne peut exercer tous ses droits.

La démarche prétorienne adoptée par la jurisprudence a été de même nature. Elle a fait sien le principe que la prescription n’est un droit pour la personne poursuivie que si la victime a pu exercer son droit de poursuite sans entrave dans le délai légal. Elle a même consacré, dans une certaine mesure, l’idée que les infractions sans victimes directes ou clairement identifiées (infractions économiques et financières), mettaient l’Etat lui-même et la société tout entière en position de victimes collectives, ce qui justifiait le report du point de départ à la date à laquelle l’infraction a cessé. Puis elle l’a étendue aux crimes dont la découverte n’avait pas été possible dans le délai de prescription.

La prescription ne peut être une prime à la dissimulation

Toutes ces évolutions convergentes montrent l’ampleur du retournement en la matière, qui entérine le fait que c’est par rapport à la notion de victime – individuelle ou collective, abstraite ou concrète – que s’apprécie aujourd’hui le droit de punir et, partant, l’octroi (ou non) de l’oubli de l’infraction.

Elles traduisent par conséquent un profond mouvement de fond, que le législateur prendrait le plus grand risque à vouloir ignorer.

Soit en effet, il enfermerait le juge dans une formulation qui ne lui laisserait aucune marge d’appréciation en fixant un point de départ uniforme et incontournable à la prescription de tous les délits et les crimes : la rigidité d’un tel régime aurait à coup sûr des effets ravageurs sur l’opinion publique en général et sur les justiciables en particulier.

Soit, ce qui est nettement plus probable, il ne pourrait que laisser au juge – dont l’imagination ne manque guère, comme il l’a montré notamment à ce propos –, volontairement ou non, une marge d’appréciation dans laquelle celui-ci s’engouffrerait aussitôt. Non seulement la réforme aurait manqué son effet, mais elle risquerait fort de créer une nouvelle insécurité juridique jusqu’à ce que la jurisprudence soit parvenue, si elle y parvient, à reconstituer un droit cohérent de la prescription qui serait de toute façon très éloigné alors de ce qu’aurait voulu le législateur.

S’il apparaît de la sorte évident que la refonte du droit de la prescription ne doit pas s’opérer à rebours de l’évolution de toute la société, il reste néanmoins à trouver comment définir et arrêter le critère qui prendra le mieux en compte l’intérêt général.

La construction prétorienne s’est faite à partir de cas concrets et, comme toute casuistique, elle est dépendante des circonstances dans lesquelles elle s’est élaborée. Tandis que des notions comme celle de délit continu ne visaient qu’à parfaire le dispositif législatif initial du code de procédure pénal tout en restant dans les limites qu’il s’était fixées, la jurisprudence sur les infractions dissimulées a eu clairement pour objet de les dépasser pour prendre en compte des infractions et des contextes qui n’existaient pas lors de la création du code d’instruction criminelle, voire même du code de procédure pénale.

Comme on le sait, cette construction jurisprudentielle a essentiellement porté sur les infractions économiques et financières, pour la bonne raison que leurs auteurs disposent de moyens importants pour les dissimuler et qu’il convient de ne pas leur donner une prime supplémentaire à raison de cette capacité de se soustraire à la loi pénale.

La prescription doit tenir compte des évolutions qui retardent la connaissance des faits ou permettent de les poursuivre plus longtemps

Mais d’autres évolutions et d’autres besoins se sont déjà manifestés, mettant en question de façon plus générale le moment qu’il faut choisir comme point de départ de la prescription. On retiendra bien entendu la décision de la cour de cassation dans son arrêt du 7 novembre 2014, à propos de meurtres d’enfants cachés par leur mère.

On peut en évoquer d’autres comme les grandes catastrophes sanitaires – par exemple l’amiante ou le sang contaminé –, qui se déclarent après des années, voire des décennies, de latence ou d’« incubation ». La pollution d’un site industriel causant des ravages dans l’environnement et provoquant, parfois à des années de distance, une multitude de fléaux (malformations de nouveaux nés, maladies et décès, improductivité des sols ou de l’atmosphère, etc.) pose même le problème, au-delà de la dissimulation des causes qui souvent l’accompagne, du point de départ de la prescription.

Faudra-t-il également, si un maire accorde des autorisations de construire dans une zone inondable, que la mort de dizaines de personnes ne puisse plus être poursuivie au motif que la prescription courait à partir de la signature de l’arrêté municipal ? L’opinion publique comprendrait-elle qu’on ne puisse, après une avancée scientifique déterminante comme le séquençage de l’ADN, reprendre des poursuites contre l’auteur d’un crime qui n’aurait pu être précédemment identifié ? Et que dire du cas, récemment révélé aux Etats-Unis, d’une personne décédée cinquante ans après avoir été blessée par arme à feu, décès que les progrès de la médecine ont permis d’imputer à cette blessure ?

Quand, de surcroît, des infractions sont commises collectivement dans le cadre d’une soigneuse division du travail, comme c’est le cas au sein de groupes ou de réseaux criminels, selon quel critère décrètera-t-on si un acte est prescrit ? Faudrait-il considérer le cas de chaque membre de l’association criminelle en particulier pour fixer, contre lui, le point de départ de la prescription, ou continuer de considérer les actes commis en groupe comme un ensemble opposable à chacun d’entre eux ?

Sans doute, de tels cas posent-ils d’autres problèmes en termes de poursuites, mais l’allongement de la durée de vie et des moyens de reconstituer des événements passés grâce aux progrès scientifiques et techniques, tout autant que les nouvelles formes de criminalité, obligent à considérer en tout cas qu’ils ne peuvent être réglés simplement en tirant sur eux trop vite, ou par des procédés trop grossiers, le voile de l’oubli, puisque d’oubli, précisément, il n’y a plus.

Il apparaît ainsi que la jurisprudence de la chambre criminelle de la cour de cassation, non seulement doit être entièrement approuvée, d’autant qu’elle s’inspire des mêmes considérations que celles qui ont motivé le législateur au cours des dernières années, mais qu’elle doit être étendue et systématisée. Elle ne saurait en particulier être limitée aux seules infractions économiques et financières : elle doit devenir un principe subsidiaire mais universel en matière de prescription.

Conserver les règles établies et validées par le temps ou justifiées par leur nature ou la bonne administration de la justice

Bien entendu, l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et de génocide ne peut, ne serait-ce que pour des raisons symboliques, être remise en cause. En revanche, la prescription du droit de la presse, qui répond à des motifs spécifiques, devrait continuer d’être considérée séparément des infractions de droit commun.

Il paraît peu réaliste par ailleurs, de chercher à modifier la jurisprudence sur les infractions continues, et très inopportun de modifier la règle applicable à la prescription des infractions connexes. Une bonne justice impose en effet que, dans le cas où plusieurs incriminations peuvent être retenues pour sanctionner un ensemble de faits qui sont liés entre eux, le juge ait la possibilité d’examiner tous les actes qui ont concouru à un comportement prohibé à des titres divers, même si le délai de prescription de certains d’entre eux, pris séparément, est achevé.

Par ailleurs, s’agissant de la prescription des peines, la question est plus simple et il pourrait y être apporté une réponse par un allongement raisonnable des durées actuelles de prescription.

Enfin, est posée la question également d’un délai tendant à instaurer une prescription « processuelle », c’est-à-dire un délai préfix de durée de la procédure comme il en existe, par exemple, dans le droit italien. Une telle solution, qui incite à exercer tous les recours, même abusifs et purement dilatoires, ne saurait être considérée comme favorisant une bonne administration de la justice. La jurisprudence de la CEDH sur la durée raisonnable des procédures apparaît un critère largement suffisant pour protéger les droits de la défense en la matière et il convient de laisser à la jurisprudence la souplesse nécessaire pour apprécier, dans chaque circonstance, si les délais de procédure ont été raisonnables et sanctionner les procédures dont la durée a été excessive.

Par conséquent, il suffirait de maintenir une durée de prescription de droit commun qui ne soit pas exagérément allongée et de maintenir les règles actuelles sur les causes d’interruption de la prescription. Si les délais de prescription étaient néanmoins rendus plus longs, il pourrait alors être prévu une prescription processuelle, différente de la prescription de l’action publique, relativement courte (par exemple 3 ans), mais qui ne serait pas un délai préfix et serait donc interrompue par tout acte de poursuite.


Résumé des propositions du Syndicat national des magistrats-FO pour la refonte du droit de la prescription pénale


1. Conserver la même durée de prescription fixe pour tous les délits et les crimes : 3 ans pour les délits, 10 ans pour les crimes.

2. Introduire les dispositions suivantes, applicables à toutes les prescriptions :

« Le délai de prescription de l’action publique ne court qu’à compter du jour où :

  • 1°) l’infraction est apparue dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, soit du fait de sa dissimulation, soit en raison d’un obstacle insurmontable à l’engagement de poursuites contre son auteur ;
  • 2°) tous les éléments constitutifs de l’infraction ont cessé.
    Outre les dispositions de l’alinéa précédent, le délai de prescription ne peut commencer à courir que lorsque les effets dommageables ou prohibés sont apparus dans des conditions permettant de caractériser l’infraction, quelle que soit la date à laquelle ont été accomplis les actes qui les ont provoqués ».

3. Conserver quelques régimes dérogatoires tendant à différer explicitement et automatiquement le point de départ, comme l’âge de la majorité pour les enfants victimes d’abus sexuels, comme c’est actuellement le cas dans l’article 8 du CPP.

4. Conserver les régimes dérogatoires d’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et de génocide ainsi que la prescription courte en matière de délits de presse.

5. Conserver la jurisprudence sur les délits continus et les règles relatives aux infractions connexes.

6. Prévoir un allongement raisonnable de la prescription des peines.

7. Ne pas instaurer de délai de prescription processuelle. Uniquement en cas d’allongement de la durée de prescription de droit commun, prévoir une prescription processuelle de trois ans qui serait interrompue par tout acte de poursuites.

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