Permanence : 01 44 32 54 63
Page LinkedIn
Unité Magistrats FO

Justice en Questions n°2 : le mot de la secrétaire générale

Flash info 30/06/2015

Justice en Questions n°2 : le mot de la secrétaire générale - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

Deux procès retentissants - que seul le hasard a rapprochés dans le calendrier - viennent de secouer, une nouvelle fois, l’édifice judiciaire : le jugement devant la cour d’assises des mineurs de Daniel Legrand dans l’affaire d’Outreau, et celui du Carlton de Lille devant le tribunal correctionnel de cette ville.

Le dossier que présente Justice en Questions dans son deuxième numéro, tombe donc à la fois bien et mal. Mal tout d’abord, car on pourrait nous soupçonner de vouloir faire écho aux clameurs contre la justice et les juges, qui réapparaissent lors de chaque affaire sensible.

Ce n’est aucunement le cas. Connaissant l’institution judiciaire de l’intérieur, les reproches que nous pouvons lui adresser ne reprennent rien de ces idées toutes faites qui ignorent les subtilités du monde judiciaire, ni des stéréotypes usés ou des fantasmes éculés qu’on entend ressasser depuis des décennies. Ils découlent au contraire d’une analyse froide et lucide des maux réels qui traversent une institution épuisée. Notre propos n’est pas de stigmatiser les magistrats – exercice facile à défaut d’être courageux, puisqu’on sait d’avance qu’ils ne répondent jamais aux attaques – mais d’ausculter la justice, de diagnostiquer les maux qui l’accablent et de proposer les remèdes qui pourraient lui redonner vie.

Nous pensons donc que, tout compte fait, c’est un clin d’œil du calendrier dont il faut se réjouir. Arrivant dans une actualité encore chaude, cette publication m’est aussi l’occasion de revenir sur la manière dont la justice est rendue, loin de ce que pourraient laisser croire ces fameuses affaires qui émeuvent ou scandalisent l’opinion, dans des sens parfois contradictoires.

La justice n’est pas faite pour travailler sous les feux des projecteurs. Quand la presse s’empare d’une affaire, elle la déforme pour réduire à l’emporte-pièce une matière complexe en un récit qui satisfasse aux goûts du sanglant ou du sensationnel. Si les faits poursuivis y suffisent, gare à ceux qui en ont été les acteurs. S’ils n’y suffisent pas – ou n’y suffisent plus –, haro alors sur ceux qui ont déçu en n’étant pas capables d’alimenter la rubrique des indignations populaires : les uns leur reprocheront les frustrations qu’ils ressentent, les autres de les avoir éveillées.

Les juges n’ont cure en général de ces sentiments à fleur de peau : ce n’est pas pour eux qu’ils font leur travail. Souvent, ils ne comprennent même pas pourquoi ils les ont provoqués et se contentent de souffrir - en silence - des injures qu’ils reçoivent pour seul viatique. La justice, surtout pénale, est par conséquent un malentendu permanent dont les juges deviennent les victimes collatérales et parfois sacrificielles. Tandis que la presse veut présenter à ses lecteurs un monde simple, dont le lecture les renvoie à des schémas élémentaires où ils peuvent épancher leurs émotions, la justice plonge dans les contradictions de l’humain, où se mêlent la grisaille désespérante et la noirceur parfois indicible du quotidien. Qui plus est, elle doit le faire avec le prisme du droit, dont la loupe déforme tout ce qu’il donne à voir. L’affaire du Carlton prétexte au déclenchement de diatribes enflammées contre les juges d’instruction, illustre ce désamour de la presse et de la justice jusqu’à la caricature.

La subjectivité du juge, quoi qu’on veuille, n’est jamais absente. Dans la complexité sociale et psychologique qu’il affronte, il doit sélectionner parmi les éléments qu’il examine ceux qui donnent un sens à l’événement qu’il entend reconstituer : cette histoire n’est jamais écrite à l’avance, il dépend même de lui qu’elle le soit. C’est pourquoi le juge est tout sauf un robot déshumanisé – sinon on aurait raison de s’inquiéter de son aveuglement et de sa volonté de puissance –. S’il existe, c’est non seulement parce que la loi ne s’applique pas toute seule, mais aussi parce qu’elle est, à son tour, une œuvre humaine, imparfaite et faillible. La justice ne devient ainsi infaillible qu’au prix d’une fiction dans laquelle le seul moyen qu’on ait trouvé de la rendre incontestable est de dire qu’a raison le dernier juge qui a parlé. Ainsi va l’œuvre de justice, dont il faut bien se contenter.

Le paradoxe des contempteurs de la justice, c’est qu’ils reprochent aux magistrats de n’être pas surhumains, ce qu’ils détesteraient par ailleurs qu’ils soient, à juste titre, puisqu’ils seraient alors les vrais maîtres du monde. Au moins pourrait-on leur demander de prendre, à l’égard des juges, les mêmes précautions que celles qu’ils leur reprochent, parfois à tort, parfois avec raison, de ne pas avoir respectées. La leçon qu’on apprend en jugeant les autres, c’est qu’il faut être humble et que le mieux, quand on le peut, est de s’abstenir de juger. Cela évite de se tromper.

Dernières publications