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Justice du XXI° siècle : réforme globale ou « cloud » conceptuel ?

Flash info 09/09/2015

Justice du XXI° siècle : réforme globale ou « cloud » conceptuel ? - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

L’été s’achève alors que le ministère de la justice vient d’annoncer le déploiement de plusieurs réformes en lien avec la « justice du 21° siècle ». Ces textes n’ayant pas encore été soumis au Parlement, il est donc impossible de prendre position sur autre chose que sur des projets. Ceux-ci sont si nombreux et en pratique si nébuleux qu’il convient avant de s’interroger sur leurs dispositions de se demander si le processus en cours ne relève pas plus du nuage de concepts vaporeux, que de la fondation d’une analyse nouvelle. Une fois la nuée dissipée, le risque sera grand de voir la « réforme de la justice du 21° siècle » s’évaporer comme bon nombre de celles qui les ont précédées car le fond du problème, tel que nous l’analysons reste sans solution pérenne. Et comme d’habitude, seule la situation des magistrats risque d’en être durablement affectée.

 

ETUDE D’IMPACT NON COMMUNIQUEE

Lors des échanges avec les organisations professionnelles représentatives l’administration n’a produit aucune étude d’impact relative à l’application des textes préparés. Cela n’a absolument rien de rassurant.

 

SIMPLIFICATION POUR LES JUSTICIABLES

Lorsqu’au sortir du dernier Conseil des ministres de juillet la Garde des sceaux est venue présenter la réforme de la justice du 21° siècle, elle a beaucoup insisté sur l’intérêt qui existait à permettre à un justiciable d’être informé des suites réservées à une de ses demandes depuis n’importe quel endroit du territoire, ou peu s’en faut.

 

COMPLEXIFICATION POUR LES GREFFES

La simplification de formalités ne peut être qu’ approuvée. Elle suscite toutefois des inquiétudes. Les textes pris pour l’application du projet prévoient dès à présent qu’une juridiction pourrait être amenée à donner des informations sur des procédures suivies dans un autre ressort que le sien. L’administration a présenté un projet de texte l’autorisant à calibrer les effectifs en conséquence, y compris avec des mécanismes de gestion allégés. Sous couvert de meilleur service universel, un risque réel de redéploiement officieux des effectifs se profile à l’horizon. Par ailleurs la ministre a prévu d’autoriser un possible usage de la communication électronique pour assurer l’information « des justiciables qui le souhaitent ». Si du point de vue des justiciables il s’agit d’une évolution favorable, l’existence d’un double système obligera à prévoir un double circuit de vérification de réalisation de la formalité : le système « classique » par courrier, et le système par la voie électronique. La simplification ainsi opérée entraînera mécaniquement dans les services un niveau de complexité supplémentaire.

VALSE-HESITATION SUR LA CONDUITE SANS PERMIS

S’agissant d’une des nouvelles dispositions pénales à venir, la répression par voie de simple contravention des faits de conduite sans permis, la ministre s’est clairement montrée hésitante après plusieurs prises de position d’associations d’usagers de la route. Rapportée à la nécessité affichée de conduire les autres réformes une telle annonce est curieuse. Des dépenses considérables ont précédé l’élaboration de ces projets de textes afin d’organiser de nombreuses consultations , le ministère de la Justice allant par exemple jusqu’à louer les locaux de l’UNESCO pour les organiser.

 

L’INSTANCE A LA TRAPPE

Au nombre des innovations proposées par l’administration figure la possibilité de nommer un « magistrat référent » au sein des juges des tribunaux d’instance d’un même ressort chargé de les « coordonner » .

 

NOUVELLES MESURES VEXATOIRES POUR LES MAGISTRATS

La communication officielle du ministère au sujet de la Justice du 21° siècle est en fait presque pour moitié centrée sur la réforme de la loi organique portant statut de la magistrature. Ce qui est surprenant car les consultations conduites sur ce chantier l’ont été de manière complètement indépendante de la réforme de la Justice du 21° siècle. Le ministère prévoit de reprendre trois projets distincts : – d’une part l’alignement des modes de nominations des magistrats du ministère public sur celui du siège après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, – d’autre part, la nécessité devant laquelle se trouveront certains magistrats de déclarer leur patrimoine et la totalité du corps de procéder à des « déclarations de conflits d’intérêt », – et enfin une réforme de l’Ecole nationale de la magistrature autorisant celle-ci à former d’autres publics.

Or selon nous :

  • le premier terme du projet a peu de chances d’aboutir, car il nécessite en fait une réforme de la Constitution. Sans elle la possibilité de voir le texte passer le filtre du Conseil constitutionnel est assez hypothétique. L’affirmation de la conduite de cette réforme apparaît donc plus cosmétique que réaliste.
  • le second projet qui peut être mis en oeuvre par une réforme de la loi organique, sans réforme constitutionnelle a en revanche toutes les chances d’aboutir car il se trouve curieusement toujours une majorité conséquente pour ajouter à la magistrature judiciaire de nouvelles obligations professionnelles. Nous avons en son temps vivement protesté contre le projet de déclaration de patrimoine et l’instauration d’entretiens déontologiques. Depuis 2007 de nombreuses dispositions du statut de la magistrature ont durci les conditions de la répression disciplinaire sans qu’aucune analyse sérieuse ne soit conduite pour mesurer les effets de ces réformes et sans que la volonté d’assurer en matière disciplinaire un procès équitable aux magistrats ne soit aujourd’hui garanti. Ces obligations nouvelles viennent se rajouter à un ensemble de dispositions statutaires et disciplinaires relatives à la déontologie de la profession dont la rigueur excède tout autre statut de la Fonction publique de l’Etat. La réforme de l’ENM enfin est hasardeuse car elle intègre la formation des conseillers Prud’hommes. Or la plupart des centrales syndicales, ainsi que notre organisation, sont opposées à une telle perspective.

 

UN PROBLEME DE GOUVERNEMENT ET PAS SEULEMENT DE « GOUVERNANCE »

Depuis de nombreuses années, l’accent est mis sur le fait que l’insatisfaction ressentie par les Français au sujet du fonctionnement de leur système judiciaire tiendrait au fait que les juridictions seraient mal gérées et mal organisées. Au nom de cette insatisfaction les réformes de gestion et d’organisation de la justice et de la magistrature se sont multipliées depuis 20 ans. Chaque fois la méthode est la même : un constat de carence dressé par le pouvoir exécutif, une ou plusieurs commission ad hoc avec des intervenants bien choisis, et un cycle de réformes parfois sans grand lien avec l’objet initial. La critique qui impute une partie des dysfonctionnements à la mauvaise gestion des magistrats est sans doute marginalement pertinente car administrer et juger sont des choses différentes en dépit des efforts de formation faits en la matière. Cependant , il est aussi indéniable que la question de l’attribution des moyens et du contrôle de leur affectation, tout comme la qualité des normes applicables sont elles aussi en cause. Même si ces difficultés font parfois figure « tarte à la crème » elles n’en sont pas moins réelles. L’obscurité de la loi sape l’autorité du juge et les magistrats ne sont pas responsables des arbitrages pris pour la gestion de l’Etat.

 

13 régions 38 cours d’appels ?

Enfin à qui fera-t-on croire que la réforme territoriale en cours sera sans incidence à terme sur l’architecture du système judiciaire ? Même si l’on adhère pas à cette réforme, désormais applicable, la nouvelle région Rhône-Alpes-Auvergne, pour ne prendre qu’un seul exemple ne comptera pas moins de 5 cours d’appel sur son territoire, autrement dit un seul préfet et cinq procureur généraux. Combien de temps une telle dissociation subsistera-t-elle avant que de nouvelles adaptations ne soient déclarées indispensables ?

 

LA JUSTICE, AVEUGLE OU SANS VISION ?

Pour notre organisation ce qui fait réellement obstacle à l’émergence d’une autorité judiciaire dont la légitimité serait réaffirmée c’est l’absence d’une vision d’ensemble partagée par l’ensemble des responsables politiques sur un minimum de données incontestables. La première source de légitimité du fonctionnement d’un système judiciaire c’est son efficacité. Celle-ci dans un contexte de budgets contraints ne peut pas être absolue et ne peut être que relative. Mais cette relativité doit être adaptée aux besoins du pays. Elle impose donc des choix de gestion et des choix politiques. Enfin elle doit clairement être assurée. Il importerait donc de construire de normes de fonctionnement réalistes permettant le calcul de la dévolution des moyens alloués au système judiciaire pour fonctionner et une juste évaluation des besoins réels pour parvenir à assurer ces objectifs. C’est pourquoi une réforme indispensable serait de ne pas laisser l’administration centrale d’un ministère seule responsable de l’élaboration des études d’impact relatives aux lois nouvelles. Car il existe un véritable « conflit d’intérêt » à procéder ainsi. L’exercice d’un contrôle extérieur au seul gouvernement sur la faisabilité d’un certain nombre de réformes devient chaque jour plus indispensable. La deuxième source de légitimité d’un système judiciaire réside donc dans le soutien des autres instances del’Etat pour assumer les choix de gestion faits au nom du « Peuple français ». Ici aussi, il est nécessaire de dépassionner le débat, d’interdire les invectives politiciennes et de séparer les exercices budgétaires « courts » des exercices budgétaires « longs ». L’autorité judiciaire a besoin de visibilité dans le déploiement de projets structurels . La mise en place de normes nouvelles doit être clairement séparée des besoins constants des juridictions pour fonctionner et des investissements à long terme nécessaires pour financer les réformes de fond.

 

Juger ou contrôler ?

Cela ne serait pas si grave si l’autorité judiciaire n’était confrontée depuis plusieurs années à une véritable remise en question de la manière dont elle doit exercer sa fonction principale qui est de juger. Bon nombre d’évolutions récentes ont limité l’implication de la magistrature dans le fonctionnement de l’autorité judiciaire. Certains contentieux ont été clairement privatisés. Le rôle de la magistrature dans leur traitement a donc été réduit d’autant. D’autre évolutions ont eu pour effet de modifier de manière plus indirecte l’intervention des tribunaux. De plus en plus souvent les magistrats sont positionnés comme des vérificateurs d’actes faits par d’autres au lieu d’être utilisés comme les producteurs d’une construction intellectuelle que l’on appelle une procédure. Le rôle des magistrats dans l’application « directe » de la loi subit donc depuis des années une forme de « baisse tendancielle ».

S’agissant de la matière civile les dispositions du projet de loi qui visent à rendre obligatoire une phase de médiation familiales sont sous-tendues par ce nouveau rôle du juge.

S’agissant de la matière pénale, cette tendance s’est manifestée à travers notamment le développement de la « troisième voie ». Elle a fait du juge l’instance d’homologation de décisions initiées par le ministère public, qui est lui-même devenu un organe de contrôle non pas de l’action de la police, mais des flux qu’orientent vers lui ses différents services. Parallèlement le rôle du juge d’instruction a été réduit d’autant. Le système français d’un juge gardien du droit est donc en train d’évoluer vers un juge gardien de la procédure, « à l’anglo-saxonne », serait-on tenté d’écrire.

 

Changer la magistrature pour changer la justice ?

Le biais qui a consisté à rendre la magistrature responsable de l’entier dysfonctionnement du système judiciaire mérite d’ être abandonné parce que la magistrature ne forme pas l’intégralité des professions judiciaires et que son action dépend de l’intervention d’acteurs qu’elle ne maîtrise pas.

Le procès n’est pas la chose des parties mais une mise à disposition d’argent public

Pour notre organisation dans un tel contexte il est vain de chercher à réformer le système judiciaire si l’on ne réfléchit pas à coordonner dans le même temps une profonde évolution d’un certain nombre de professions judiciaires. Il n’est pas possible de changer les critères de fonctionnement du système judiciaire sans assumer de changer la culture du système judiciaire. Et cela non pas seulement au niveau de leurs structures d’organisation, mais bien aussi au niveau d’un certain normes de fonctionnement communes. En cela la « réforme de la justice du 21° siècle » a dès à présent manqué son effet puisqu’elle n’envisage pas de telles avancées . Dans le même temps la « loi Macron » n’a apporté aucun élément nouveau engageant une réflexion de fond sur de telles normes de fonctionnement adaptées aux exigences sociales nouvelles. Or ces avancées sont indispensables car en l’absence de politique commune sur ce que doit garantir le fonctionnement cohérent du système judiciaire les risques de déstabilisation de celui-ci seront nombreuses. Sur le plan économique, la gestion des crédits de l’aide juridictionnelle, mais aussi de tous les frais induits par le droit au respect à un procès équitable en matière pénale constituent un enjeu financier considérable qui ne peut pas être réglé sans une analyse fine des enjeux. Enfin sur le plan statutaire si les exigences imposées aux magistrats tendent à la perfection, alors que les moyens qui leur sont alloués confinent à l’indigence, leur mise en difficulté sera grandement facilitée.

 

L’ABSENCE D’UNE PENSEE GLOBALE ET D’UN « TEMPS LONG » EMPECHE TOUTE EVOLUTION REELLE

Or l’actualité récente fait apparaître que la question du fonctionnement de l’autorité judiciaire est aujourd’hui fragmentée au sein même du gouvernement. Une partie des problématiques relatives aux professions réglementées et notamment les huissiers et les notaires ont été conduites sous l’impulsion du ministre de l’économie, le ministère de la justice n’étant pas le premier moteur de la réforme. Mais au-delà de cet aspect purement conjoncturel, la difficulté apparait plus profonde.

 

NOTRE REVENDICATION : REFONDER L’ANALYSE

Dans le courant de l’année 2004 lors de la mise en place de la « LOLF » notre organisation avait publié un communiqué titré « les payeurs seront-ils les décideurs ? » qui traduisait tous les risques de dérive consistant à « plaquer » un système de gestion financière sur une institution qui ne peut pas être gérée sur cette seule base intellectuelle. Dix ans plus tard l’avenir nous a totalement donné raison : l’absence d’indicateurs pertinents dans l’évaluation des besoins des juridictions a contribué à rendre encore plus difficile le fonctionnement des juridictions et à faire perdre presque toute légitimité à l’autorité judiciaire. Cette cécité volontaire traduit une absence de pensée judiciaire. Il est plus que temps de sortir par le haut du cycle infernal des réformes perpétuelles pour conceptualiser une nouvelle organisation judiciaire à même de restaurer la confiance des citoyens envers les tribunaux. Et à l’heure ou nous écrivons ce dont la justice apparaît avoir le plus besoin c’est avant tout d’une analyse sur ce qu’elle est devenue depuis l’introduction des réformes managériales visant à « améliorer » son fonctionnement. Fo-Magistrats soutient la nécessité de tenir des états généraux de la justice judiciaire.

 

INFORMATIONS RAPIDES

Une pensée pour Sabine Maillard-Chardonnay, vice-président à Fort de France

Notre collègue Sabine Maillard a récemment mis fin à ses jours à Fort-de-France. Nous avons une pensée pour elle et ses proches.

Conseil constitutionnel : Les héros sont fatigués.

Si l’on en croit l’édition du « Canard Enchaîné » du 12 août 2015 les membres du Conseil constitutionnel seraient au bord du burn-out en raison du grand nombre de dispositions nouvelles récemment soumises à son contrôle et à la faiblesse du nombre de rapporteurs présents en son sein (en l’absence notamment de plusieurs anciens présidents de la République, mais aussi en raison de l’absence de rédaction de rapports par son président...) : une juridiction sinistrée de plus.

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