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Inspection des services judiciaires : fusion ou confusion?

Flash info 05/11/2015

Inspection des services judiciaires : fusion ou confusion? - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

L’information est passée largement inaperçue au milieu des réjouissances estivales : le 20 juillet 2015 la Cour des comptes a rendu public un référé enjoignant au Garde des sceaux de se pencher sur une réforme des trois inspections du ministère de la Justice. Par courrier du 1° juillet 2015 la ministre a répondu qu’un « groupe de travail » chargé d’évaluer « la fusion des trois inspections » avait été constitué et qu’il rendrait ses conclusions « dans quelques semaines ».


AVENIR DES INSPECTIONS : NI AVEC TOI NI SANS TOI

La Cour à la veille du débat budgétaire a lancé le débat d’une réforme de trois services d’ inspections du ministère de la justice en vue de préconiser leur fusion. Le référé envisage de coordonner davantage l’activité de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), de l’Inspection des services pénitentiaires (ISP), et de l’Inspection de la Protection judiciaire de la jeunesse (IPJJ). Les services spécifiques de l’inspection « Hygiène et sécurité » du ministère ne sont pour l’instant pas visés . La Cour demande explicitement que le ministère de la justice créée un service autonome d’inspection plus détaché qu’il ne l’est aujourd’hui des différentes directions cela afin d’améliorer la « transversalité » dont le ministère de la Justice aurait un « impérieux besoin ».

Si l’on se place d’un point de vue purement théorique, la démarche de la Cour des comptes est logique, mais aussi légitime. Une précédente réforme initiée en 2010 a commencé à mettre en oeuvre ce rapprochement, mais, selon le référé de la Cour elle est « restée au milieu du gué ». La fusion des inspections devrait permettre une sorte de verticalisation des missions d’inspection. Il serait désormais possible de suivre le fonctionnement d’une juridiction depuis sa saisine jusqu’à l’exécution des décisions de justice. Elle aurait aussi pour but de clarifier le statut des agents affectés au sein des inspections et de les détacher clairement de leur corps d’origine. Enfin la Cour relève que la dimension gestionnaire des inspections pourrait être mieux assurée.


LE MINISTERE DE LA LOI VICTIME DE LA COUTUME

Mais sorties du contexte éthéré de la rigueur budgétaire, les choses ne sont bien entendues pas si simples. L’auraient-elles été, il y a longtemps qu’une réforme aurait été entreprise. Le ministère de la Justice le sait et procède en la matière par touches impressionnistes pour modifier le tableau.

L’inspection des services judiciaires sans toi ni loi !

Ceux qui tremblent à l’idée de recevoir un inspecteur devraient avant de recevoir les inspecteurs lire le référé de la Cour des comptes afin de raffermir leur volonté chancelante. Il y est écrit noir sur blanc d’une part que « l’inspection des services judiciaires n’a jamais été reconnue comme un service du ministère de la justice, même si elle l’est dans la pratique ».

Ce qui est incontestablement...vrai. Il existe bien entendu un service d’inspection, et un cadre réglementaire qui en fonde l’étendue et la compétence (le décret du 22 décembre 1958, et le décret du 29 décembre 2010).

Mais pour des raisons historiques, sur lesquelles nous ne nous étendrons pas ici, ce qui a été en fait institué en 1958 c’était un binôme de magistrats de la Cour de cassation exerçant les fonctions d’ inspecteur des services judiciaires et non un service d’inspection des services judiciaires. Ce « vice originel » continue d’avoir une incidence très directe sur le statut très lacunaire garanti aux magistrats inspecteurs des services judiciaires. Ainsi le statut de la magistrature ne vise expressément aujourd’hui que l’inspecteur et les inspecteurs généraux. Cela explique aussi en partie pourquoi aucune faute disciplinaire spécifique n’incrimine un refus de réponse ou de présentation devant l’inspection des services judiciaires. Les inspecteurs des services judiciaires sont en tout état de cause aux yeux de la Cour des comptes une bande à peine organisée.

Ce défaut juridique d’organisation, qui dénote le poids des coutumes au sein même du ministère de la justice ne se retrouve pas dans la structure juridique des autres inspections selon la Cour. En cela elle a parfaitement raison : les inspecteurs d’autres ministères ne sont d’ailleurs pas traités de la même façon que leurs collègues.

Précisions homéopathiques pour corps enflammés

Une première réponse statutaire apportée à cette problématique a donc consisté pour l’administration, qui en fait est saisie par la Cour depuis le mois de décembre 2014, à réformer la loi organique afin d’y adjoindre des dispositions portant sur le statut des inspecteurs et des inspecteurs adjoints. Mais en réalité c’est loin d’être une problématique essentielle.


JEUX DANGEREUX POUR REFORME A HAUTS RISQUES

Inspecter ne s’improvise pas

La véritable difficulté que l’administration doit résoudre pour répondre à l’injonction de la Cour des comptes tient au fait que les cultures des trois directions d’origine des inspections sont très différentes, et on peut le dire même contradictoires. Or inspecter un service consiste à rendre compte de son travail, et donc à connaître la réalité du travail. Si des rapprochements sont possibles en terme de procédure d’inspection, les réalités de travail continueront d’être éloignées. La prescription de la Cour restera donc , passé un certain niveau d’organisation, un vœu pieux. Ajoutons à cela que, si traditionnellement le directeur de la Protection judiciaire de la jeunesse est un magistrat , et que le directeur des services judiciaires en est également un, il est souvent arrivé que le directeur de l’administration pénitentiaire soit un préfet. Imaginer de fusionner les corps d’inspection ne pose donc pas qu’un problème culturel, mais aussi un véritable problème statutaire. Car l’une des missions que peut être amenée à exercer l’inspection des services judiciaires est d’évaluer la capacité d’un magistrat à être maintenu dans ses fonctions. Ses travaux participent donc de la garantie d’inamovibilité des magistrats du siège. Et si, pour les inspections de fonctionnement un regard « croisé » peut s’avérer tout à fait légitime, dans le cadre d’une inspection pré-disciplinaire, imaginer que celle-ci puisse être conduite autrement que par un magistrat de l’ordre judiciaire soulève de réelles questions de principe.

Incriminer n’est jamais innocent

Le CSM a déjà dans plusieurs rapports analysé la nécessité de garanties spécifiques lors du déroulement d’opérations conduites par l’inspection préalablement à une éventuelle saisine disciplinaire. La certitude d’être interrogé par un magistrat de l’ordre judiciaire n’est pas prévue par les textes à l’heure ou nous écrivons. Si les trois inspections doivent fusionner, une obligation en ce sens devra selon nous être édictée. En outre lorsqu’elle se voit délivrer une mission d’inspection à fins disciplinaire, l’IGSJ entend les personnes sans leur faire prêter serment de dire la vérité. Le magistrat se voit donc opposer des témoignages dont la sincérité n’est pas acquise ! Dès lors il en résulte un véritable problème d’égalité des armes. Le CSM n’a pour l’instant jamais été directement saisi de cette question pourtant cruciale et il a dans le passé, utilisé des témoignages ainsi recueillis pour motiver des sanctions disciplinaires.

Syndicats ? Connais pas !

Alors qu’elle doit répondre à un référé rendu public l’administration n’a toujours pas associé officiellement les organisations professionnelles au groupe de travail qu’elle a entendu mettre en place pour satisfaire la Cour.

Compte tenu du caractère extrêmement sensible de ce dossier Fo-Magistrats a décidé d’écrire à la ministre ainsi qu’au président de la Cour des comptes afin que les représentants des personnels soient associés à la démarche.

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