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Unité Magistrats FO

FO-Magistrats entendu par l'inspection générale de la justice sur la féminisation de la magistrature

Recherches, Travaux 31/05/2017

FO-Magistrats entendu par l'inspection générale de la justice sur la féminisation de la magistrature - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

Notre syndicat a été entendu le 10 mai dernier par l'inspection générale de la justice (IGJ), chargée d'une mission sur la féminisation de la justice.

 

La magistrature est l'un des corps les plus féminisés mais dans lequel le nombre de femmes occupant des fonctions hiérarchiques élevées demeure très inférieur à leur représentation.

 

La féminisation de la magistrature et la sous-représentation des femmes à la tête des cours et tribunaux ont des explications communes dans la sociologie et l'histoire du corps. Pour FO-Magistrats, les déséquilibres constatés ne trouveront pas de solution dans des politiques artificielles qui consisteraient à favoriser le recrutement des hommes ou à créer des discriminations positives pour la promotion des femmes dans la hiérarchie.

 

FO-Magistrats s'oppose au traitement partiel d'un sujet qui concerne toute l'organisation judiciaire et les méthodes de gestion des ressources humaines dans la justice. La justice doit s'adapter à son temps et non les magistrats aux archaïsmes du management judiciaire.

 

La note remise à l'inspection générale de la justice

 

Le 30 mai 2017

 

La féminisation de la magistrature s’accompagne d’une sous-représentation des femmes dans la hiérarchie et les postes de responsabilité. Ce n’est pas la manifestation d’une discrimination négative qui pourrait être compensée par une discrimination positive inverse. C’est à la fois une conséquence indissociable de l’histoire et de la sociologie de la magistrature et l’effet d’une sclérose du système judiciaire qui amplifie et aggrave les effets pervers d‘un management du corps obsolète.

 

 

Féminisation de la magistrature

et sous-représentation hiérarchique des femmes

 

La magistrature française est l’un des corps de catégorie A les plus féminisés et elle est aussi, semble-t-il, la plus féminisée des magistratures européennes. Cette féminisation interroge depuis longtemps, mais il n’en a été tiré aucune conséquence jusqu’à présent. La question est délicate, il est vrai, à plusieurs titres : de quoi la féminisation est-elle le nom ? Pourquoi s’accompagne-t-elle d’une sous-représentation des femmes dans la hiérarchie judiciaire ? Quelles en sont les causes, faut-il la corriger et comment ?

 

Dans son rapport de 2012, le CSM a publié une étude sociologique du CEVIPOF1 (Centre de recherches politiques de Sciences Po) sur ce phénomène. Cette étude est la dernière en date connue et elle reste – bien que certains constats doivent être actualisés – la plus pertinente et la plus complète à ce jour. Son analyse rigoureuse des conditions sociologiques qui ont conduit à la situation actuelle et sur leurs conséquences est partagée par FO-Magistrats.

 

Un phénomène ancien et déterminant

 

La féminisation s’est étalée sur plusieurs décennies depuis les années 1960 et elle continue d’augmenter. Tendance longue, par conséquent, de l’histoire judiciaire, on peut déjà à ce titre la considérer comme une composante à part entière de la sociologie du corps et même de l’institution. La première remarque que l’on puisse faire est qu’elle est parfaitement assimilée à l’intérieur de la magistrature : la surreprésentation massive des femmes dans un corps jadis exclusivement masculin – et fonctionnant selon des comportements spécifiquement « masculins » – n’a entraîné aucun signe de rejet sexiste. S’il faut s’en féliciter, ce n’est pas pour autant que la féminisation soit sans poser problème.

 

La première question est de comprendre la raison d’être de ce phénomène sociologique. En reprenant, comme le fait l’étude du CEVIPOF, les concepts d’habitus, de champ social et de capital social, culturel et relationnel, on observe tout d’abord que la féminisation s’est appuyée sur plusieurs évolutions sociétales d’ensemble : entrée massive des femmes sur le marché du travail et, avant cela, leur accès tout aussi massif à l’enseignement supérieur. Mais cette double accession s’est accompagnée d’une sectorisation sexuée des orientations professionnelles qu’il est aujourd’hui facile de voir dans de nombreux domaines. Les hommes se sont portés prioritairement vers certains métiers et les femmes vers d’autres, en reproduisant dans la vie professionnelle des clivages relevant d’archétypes sociétaux anciens et profonds. En bref, les hommes investissent surtout les métiers techniques et scientifiques ainsi que, de façon générale, ceux qui reposent sur un capital social et culturel ouvrant la voie aux lieux de pouvoir professionnel et à la reproduction des élites, tandis que les femmes se retrouvent plutôt dans les professions où la concurrence pour la reproduction élitaire est moins forte, voire inexistante, mais où la reconnaissance professionnelle repose plus sur la compétence et l’acquis de savoirs.

 

Il peut apparaître une forme de contradiction entre ce constat – qui implique de considérer la justice comme un lieu relativement à l’écart des stratégies de reproduction sociale des élites puisqu’il attire surtout des femmes – et celui d’une profession jadis typiquement masculine et, surtout, véhiculant des stéréotypes masculins forts comme ceux d’autorité et de pouvoir, qui favorisent le mieux cette reproduction. On peut sans doute l’attribuer, au moins en partie, à la dépréciation de l’institution judiciaire dans l’appareil d’État, dans les instances de pouvoir et dans la reproduction des élites. Mais cela semble dû aussi et peut-être surtout, comme le suggère l’étude du CEVIPOF, aux modalités historiques de l’entrée des femmes dans la vie professionnelle, qui s’est produite par l’acquisition d’une légitimité autre que celle du capital social (même s’il ne fut pas complètement absent, compte tenu du recrutement sociologique issu des classes moyennes supérieures), c’est-à-dire par la compétence validée par les études supérieures. L’appartenance des magistrates aux classes moyennes supérieures a favorisé la marginalisation de leur emploi dans les stratégies familiales de reproduction élitaire, généralement confiée à l’emploi de l’époux. Mais l’acquisition par les femmes d’une légitimité professionnelle au sein de la magistrature s’est appuyée aussi sur un glissement de la société vers des modes de gouvernance reposant de moins en moins sur l’autorité et de plus en plus sur les fonctions sociales : « la surreprésentation des femmes dans des fonctions davantage associées à des compétences juridiques pures et/ou un contact étroit avec la réalité sociale des justiciables qu’à des positions strictes d’autorité2, reflète l’évolution de la réalité des métiers de la magistrature, singulièrement au siège, plutôt qu’elle ne constitue l’expression d’une spécificité féminine ». A quoi on peut ajouter que ces fonctions judiciaires sont traditionnellement moins valorisantes en termes de carrière, ce qui reflète l’ancrage des archétypes et des stéréotypes structurant la magistrature.

 

La surreprésentation masculine dans la hiérarchie est l’expression des biais existants dans l’organisation judiciaire

 

Toutefois, alors même qu’il n’existe pas de rejet interne de la féminisation au sein de la magistrature, on n’en rencontre pas moins un certain nombre de clivages visibles au sein du corps, qui sont l’expression d’autant de fractures. S’il est vrai tout d’abord que le métier de magistrat est, par nature et de façon générale, un métier d’autorité, il n’en reste pas moins que le premier des clivages est entre les fonctions requérant une autorité imposée et celles qui reposent sur une autorité négociée. La première correspond aux fonctions traditionnelles de la justice (et aux modes traditionnels d’exercice de la justice), la seconde aux fonctions sociales qui ont pris de plus en plus de place, au cours des dernières décennies, dans l’intervention judiciaire. La justice des mineurs, par exemple, doit toujours rechercher l’intérêt de l’enfant, la justice familiale le consentement, la justice civile la conciliation, etc. Cependant, si l’on voit se perpétuer, même dans une profession où les femmes sont majoritaires, les clivages traditionnels entre métiers masculins et féminins, on ne peut, comme le souligne le CEVIPOF dans la citation ci-dessus, l‘attribuer à une simple et directe reproduction des stéréotypes. L’explication est plutôt à chercher dans les stratégies de carrière et les arbitrages entre vie professionnelle et vie personnelle qui s’opèrent dans le contexte de la sociologie judiciaire et des contraintes institutionnelles.

 

Si l’on adopte ce point de vue, la féminisation est certes une donnée déterminante de la sociologie judiciaire. Toutefois, le problème n’est pas l’énigme que représenterait une féminisation incontrôlée de la magistrature et l’inégale répartition hommes-femmes dans les emplois judiciaires, mais l’existence d’attracteurs fonctionnels différents pour les femmes et pour les hommes qui en livrent en réalité la clé de compréhension. Outre la première différence qui a été relevée entre les types d’autorité, laquelle établit une segmentation horizontale entre les filières plutôt masculines et les filières plutôt féminines, il semble qu’il faille considérer – ce qui constitue la seconde fracture – une segmentation verticale qui se caractérise par une moindre représentation des femmes dans les postes élevés de la hiérarchie judiciaire. Même si l’écart hommes-femmes s’y est probablement atténué, il demeure incontestable.

 

Le plus facile serait d’y voir la simple reproduction des mécanismes imposant un « plafond de verre » aux carrières féminines, que l’on attribue le plus souvent, parce que l’explication est facile, au sexisme des milieux professionnels. Sauf que la féminisation a été parfaitement intégrée par la magistrature d’une part et que les mécanismes de sélection d’autre part laissent peu de place à une telle subjectivation : la sélection des candidatures par la DSJ et par le CSM s’opère sur dossier pour une grande majorité de magistrats et, pour les postes soumis à la proposition du CSM lui-même, les critères de sélection s’appuient sur le parcours des magistrats, donc sur leur conformité aux critères qui survalorisent les carrières masculines.

 

La raison d’être de la surreprésentation masculine dans les postes hiérarchiques élevés s’explique en réalité par deux sortes de considération complémentaires.

 

La première est que les critères de promotion demeurent marqués par les patterns traditionnels du système judiciaire, en raison de la sclérose de l’architecture bureaucratique et hiérarchique du corps et de l’institution. L’organisation judiciaire, conçue par Napoléon au début du XIXe siècle sur un modèle hiérarchique et militaire, n’a pas évolué, pas plus que les modes de sélection aux fonctions de commandement, qui ont préservé les critères de conformité au modèle en dehors de toute perspective RH et de diversification des parcours professionnels. Il s’ensuit que sont privilégiés, notamment pour l’accession aux fonctions de chefs de juridiction, les critères d’autorité et de conformité sur lesquels repose la reproduction des élites judiciaires et qui demeurent fixés sur la reproduction du système judiciaire lui-même. Or ces critères correspondent aux stratégies de carrière accessibles surtout aux hommes, car ils impliquent en particulier de suivre des parcours peu compatibles avec les contraintes de la vie privée de la part des candidats et qu’ils perpétuent des représentations qui favorisent excessivement (sinon quasi-exclusivement) des profils de carrière étroitement « fléchés ».

 

Ainsi, si l’on ne peut parler de volonté délibérée de favoriser les carrières des hommes dans la magistrature (ni même, sans doute, aucune conscience véritable au sein du corps des logiques internes qui défavorisent la carrière des femmes), il n’en reste pas moins que les mécanismes de fonctionnement du corps induisent encore une prédominance masculine tant dans certaines fonctions (notamment au parquet) qu’à mesure de l’avancement dans la hiérarchie, car toute la gestion du corps est conçue pour maintenir les patterns d’une architecture bureaucratique et militarisée qui bénéficie beaucoup plus aux hommes qu’aux femmes. Celles qui veulent suivre une carrière dynamique d’accession sociale élevée sont contraintes par les modes d’organisation de l’institution judiciaire et par ses codes de fonctionnement d’arbitrer en défaveur de la vie familiale ou des contraintes personnelles (par exemple, le soutien à des parents âgés ou malades ou encore à des enfants handicapés) et d’entrée très tôt dans une stratégie de carrière conforme au modèle imposé.

 

Proscrire toute politique de discrimination positive qui cacherait les problèmes et empêcherait de les résoudre

 

C’est pourquoi, FO-Magistrats est résolument hostile à toute politique de discrimination positive qui, malgré les apparences, ne ferait au contraire qu’aggraver les travers de l’institution judiciaire et augmenter les biais qui pervertissent son fonctionnement. Si l’on admet que la cause du déséquilibre de la représentation hommes-femmes dans la structure hiérarchique du corps réside dans la sclérose qui vient d’être décrite et non dans un retard des mentalités, la solution ne saurait être de plaquer une préférence féminine sur des mécanismes qui induisent une préférence masculine pour essayer d’en enrayer la logique. Une telle direction est à proscrire car elle ne ferait que provoquer un mécanisme de rejet sexiste (inexistant aujourd’hui) sans rien modifier des mécanismes archaïques qui sont à l’origine d’évidents dysfonctionnements dans la gestion des ressources humaines de la magistrature.

 

La position de FO-Magistrats est, par conséquent, que la féminisation de la magistrature et la sous-représentation des femmes dans la hiérarchie judiciaire sont le résultat paradoxal d’un immobilisme structurel et managérial qu’il dénonce depuis longtemps qui est au coeur de la problématique de la justice. Ce double phénomène contradictoire ne trouvera de solution que dans une approche globale de l’organisation judiciaire et non dans un énième replâtrage qui ne fera que masquer provisoirement les carences et les défaillances de cette dernière. Il ne sera pas non plus résolu, comme pourraient le penser certains, en laissant faire une évolution prétendument naturelle qui conduirait « avec le temps » à résorber la sous-représentation des femmes dans la hiérarchie. Ce fatalisme ne conduirait qu’à justifier les modes archaïques de fonctionnement de l’institution judiciaire qui sont la cause de ce problème (et de nombreux autres dans la magistrature).

 

C’est pourquoi, FO-Magistrats considère qu’il est urgent de s’atteler à une réflexion d’ensemble sur la gestion du corps de la magistrature, qui ne saurait être dissociée de l’organisation judiciaire elle-même et du mode d’évaluation et de sélection des magistrats. Il faut s’abstenir de faire de l’emploi des femmes dans la magistrature un artefact qui pourrait être résolu de manière isolée et surtout sans toucher à rien de l’organisation judiciaire et de la gestion des ressources humaines dans la justice.

 

Les solutions doivent être recherchées du côté d’une réforme des structures judiciaires pour gommer les distinctions entre les filières nobles favorables à la carrière et les autres. Pour ce faire, il importe notamment de reconnaître en particulier le droit effectif (et donc organisé et garanti) à la vie privée et familiale, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans le déroulement des carrières, pour ne pas pénaliser ceux (et surtout celles) sur qui pèsent les plus fortes contraintes extra-professionnelles. Il est significatif par exemple que la circulaire Lebranchu sur la durée des audiences ne soit toujours pas appliquée (le magistrat qui en revendiquerait le bénéfice s’exposerait même à de fortes mesures de rétorsion, y compris disciplinaires) et qu’il ne soit tenu à peu près aucun compte des contraintes personnelles dans l’organisation et la marche de services qui ne peuvent souvent fonctionner, sans contrepartie, que grâce au dévouement et à l’abnégation des magistrats.

 

Cela doit donc s’accompagner d’une réflexion et de réformes profondes sur l’organisation hiérarchique et pyramidale de la magistrature, sur la rigidité du système judiciaire figé dans des structures obsolètes, sur les modèles archaïques de commandement, de management et de gestion des ressources humaines, sur le déroulement des carrières, sur les archétypes et les stéréotypes relatifs à la profession de magistrat reproduisant les patterns d’une profession organisée depuis deux siècles sur un mode militaire.

 

 

*

1 « L’accès à la hors-hiérarchie et aux fonctions juridictionnelles de premier ordre au prisme de l’égalité femmes-hommes : agir pour la parité dans la magistrature », Maxime Forest et Réjane Senac, CEVIPOF, Rapport du CSM 2012, p.255.

2 Outre une plus grande propension aux postes du siège, notamment au civil, il est relevé que les femmes s’orientent plus vers des fonctions comme les juges des enfants ou l’instance.

 

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