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Unité Magistrats FO

Face aux menaces, repenser la chaîne pénale

Flash info 06/03/2015

Face aux menaces, repenser la chaîne pénale - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

Comment éviter une réponse pénale qui ne débouche que "sur des mesures inefficaces et des condamnations inapplicables ou inappliquées" ? Pour Béatrice Bruguière et Jean Maillard, tous deux magistrats et responsables du Syndicat national des magistrats FO, il faut sans doute "poursuivre moins mais mieux" . "En fixant ses priorités sur les auteurs prolifiques et dangereux (6% de délinquants commettent 60% des infractions), écrivent-ils, la justice obtiendrait déjà des résultats spectaculaires."

GILE/SIPA

Dans un monde qui change à grande vitesse, on ne va pas pouvoir différer plus longtemps une réflexion de fond sur les doctrines d’emploi des forces de sécurité et de répression. L’échelle, en matière de sécurité publique, n’est plus celle du village, de la ville ou même du pays, mais celle du monde entier où les réseaux qui les parcourent s’entrelacent à l’infini. Rien n’arrête vraiment la circulation des hommes, de l’argent, des marchandises (licites ou non), des idées, des informations... et plus personne ne peut garantir a priori leur innocuité. Les menaces terroristes sont en même temps globales et locales, mais il en est de même des mafias, de la criminalité organisée, des trafics en tout genre et de la délinquance économique et financière.

Que faudrait-il faire ? D’abord, comprendre que les moyens mis à la disposition des acteurs de la sécurité seront toujours limités. Aujourd’hui submergée de poursuites insignifiantes et inutiles, la justice s’épuise à vouloir apporter à l’aveugle une « réponse pénale » indifférenciée qui débouche trop souvent sur des mesures inefficaces et des condamnations inapplicables ou inappliquées. Sait-on par exemple que, malgré la mobilisation complète de l’appareil pénal, seules 7% des atteintes aux biens déclarées par les victimes sont résolues, 6 % donnent lieu à une suite judiciaire, 2,5% aboutissent à des condamnations et moins de 0,4% à des incarcérations ? Il est urgent de repenser toute la chaîne pénale en revoyant ses méthodes et ses moyens, afin de recentrer son action sur la prévention des menaces.

La justice va devoir faire pour cela un sérieux examen de conscience. Depuis des décennies, toute sa doctrine est fondée sur l’alternative entre la prison et les méthodes éducatives. Pourtant, la question n’est pas de savoir s’il faut traiter la récidive par la force ou par la douceur, mais comment il faudrait faire pour prévenir les menaces elles-mêmes. On ne règle pas les problèmes en commençant par la fin, mais par le début.

En fixant ses priorités sur les auteurs prolifiques et dangereux (6% de délinquants commettent 60% des infractions), la justice obtiendrait déjà des résultats spectaculaires. Ce serait, pour les parquets et les tribunaux, une révolution culturelle : poursuivre moins mais mieux, sans craindre alors de redonner aux peines une vigueur qu’elles ont perdue depuis longtemps.

Cela implique d’avoir des dispositifs capables de détecter les auteurs des menaces, de les identifier et de les neutraliser. Dans tous les domaines, et pas seulement le terrorisme, la priorité doit donc être mise sur le renseignement, seul moyen d’anticiper les événements. Encore faut-il que cela s’accompagne d’une doctrine claire, de moyens matériels, technologiques et humains appropriés, de formations adaptées, d’un accès cohérent aux sources d’information tels que fichiers et bases de données. Il faudra en outre revoir les techniques d’enquête judiciaire pour qu’elles intègrent cette nouvelle approche et revenir à des règles de procédure et des modes de sanction à la fois plus simples, plus fonctionnels et plus réalistes. Cela peut et doit se faire sans restreindre les droits des personnes.

Pour déterminer de nouveaux enjeux, repenser les doctrines des instances de sécurité intérieure et d’application de la loi et définir correctement leurs buts, leurs besoins et leurs moyens, le gouvernement et le Parlement devraient s’engager au plus vite dans la rédaction d’un Livre blanc fixant un plan quinquennal, global et cohérent, dans le cadre d’un vrai débat démocratique. La sécurité est un droit individuel, mais n’oublions pas que c’est aussi un bien public.

Béatrice Brugère est vice-procureur au tribunal de grande instance de Paris, secrétaire générale du Syndicat national des magistrats FO. Jean de Maillard est vice-président du tribunal de grande instance de Paris, délégué du Syndicat national des magistrats FO.

Tribune parue dans le n° de MARIANNE du 6 mars 2015

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